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Avant - propos
Après avoir réalisé l'article " Tamla Motown Story " le 03 Février 2011 , il apparait évident que celle de Stax Records soit à son tour réalisée . Voici donc l'histoire de ce prestigieux label qu'est Stax Records . Une petite recommandation toutefois , écoutez la musique de Stax Records en cliquant sur les curseurs musicaux tout en lisant cet article très très long ( pas la peine de lire vite , vous avez tout le temps de bien lire ) .
Quelques Stax Records # 1 : 19'47
Au commencement était Satellite Records
Aujourd'hui encore ce nom n'a rien perdu de son pouvoir évocateur . Otis Redding , Carla et Rufus Thomas , Sam & Dave , Booker T. & The MG's ... la liste peut s'allonger à l'infini . Tout à commencé par un petit label créé en 1960 dans un cinéma désaffecté au milieu d'un quartier défavorisé et cosmopolite . Sur l'auvent de la salle , on put bientôt lire , écrit en lettres géantes de plastique rouge : SOULSVILLE , U.S.A. ( ville de la Soul , Etats-Unis ) ( et pendant un moment , à une époque où le label décida de s'engager sur des questions sociales : STAY IN SCHOOL , " Restez à l'école " ) . Quelques années plus tard , l'endroit sera connu sous le nom de " The Cause " : la configuration en pente de la salle , les énormes haut-parleurs de cinéma U-8 aux basses puissantes , tout contribuait à magnifier la musique que l'on y passait . Le coin jadis occupé par le vendeur de pop-corn et de bonbons abritait à présent le disquaire " Satellire Records Shop " , qui servait en quelque sorte de baromètre du bon goût en temps réel pour la direction du label . Et il y avait le quartier lui-même : les gamins du coin qui passaient après l'école , le futur auteur-compositeur David Porter qui servait les clients du Jones Big Star , l'épicerie de l'autre côté de la rue , Booker T. et William Bell qui se rendaient à la même église toute proche . A l'origine , Stax Records fut créé par deux personnes , un frère et une soeur , Jim Stewart ( St ) et Estelle Axton ( ax ) . Elevée en pleine campagne , à Middletown ( 230 habitants ) , dans le Tennessee , Estelle partit à Memphis en 1934 , à l'âge de seize ans , pour obtenir un an plus tard son diplôme d'enseignante . Elle rentra alors dans sa ville natale pour devenir le professeur de son petit frère qui venait d'entrer à l'école primaire . Plus tard , alors qu'elle s'était mariée et avait elle-même des enfants en âge d'être scolarisés , Jim , de douze ans son cadet , la rejoignit à Memphis où il poursuivit des études de commerce en vue d'un carrière dans la banque . Il obtint son diplôme en 1956 , à l'âge de vingt-six ans , après avoir fait son service militaire dans les services secrets où il céda à son penchant pour le violon . Il continua en fait à jouer du violon pendant son passage à Memphis State dans plusieurs groupes de Western Swing qui acquirent une certaine notoriété locale . Il passa plusieurs fois à la radio , avec Don Powell & The Canyon Cowboys sur WDIA et avec Clyde Leoppart & The Snearly Ranch Boys sur KWEM , une radio des quartiers Ouest de Memphis . Il lui arriva de temps à autre de se produire au Clearpool , salle dont le manager , le DJ du coin Sleepy Eyed John Lepley , louait à l'occasion les services d'un jeune chanteur alors inconnu du nom d'Elvis Presley pour des performances en solo qui meublaient les entractes . Après avoir obtenu son diplôme , Jim Stewart se mit à suivre des cours du soir de droit , continua à jouer de la musique au clair de lune , et fut engagé par les services financiers de la First National Bank . Pendant ce temps , Estelle travailla pendant trois ans comme caissière à l'Union Planters Bank . Cette éducation n'est pas vraiment celle que l'on attend d'un futur acteur ou d'une future actrice de la scène Rhythm 'n' Blues . A peu de choses près , il a fallu à Jim Stewart qu'il attende d'être adulte pour voir des Noirs . Quand il commence dans le métier , il ne savait même pas qu'il existait une chose comparable à Atlantic Records , Chess Records ou Imperial Records et était loin de penser à créer Stax Records . Vers 1957 , il commença à bidouiller du matériel d'enregistrement dans le garage de l'oncle de sa femme , situé sur Orchi Street . Un de ses amis , un coiffeur du nom de M.E. ( Marshall Erwin ) Ellis possédait un peu de matériel et avait quelques connaissances sur l'industrie du disque ( il avait un temps eu son propre label , Erwin Records ) . C'est avec l'aide d'Ellis , et en partenariat avec Fred Byler , disc-jocjey sur KWEM et ancien chanteur dans l'un des groupes de Jim Stewart , qu'il lança son premier disque , une chanson Country & Western intitulée " Blue Roses " qu'il avait écrite et dont Byler assurait la partie chantée . Il avait donné à son label le nom de Satellite Records parce que les Satellites , à l'époque , étaient énormes .
Jim Stewart entendait bien bénéficier d'une bonne diffusion radio grâce aux relations de Byler dans le milieu des radios , mais la pratique ne s'accorda pas avec sa théorie , et ses tentatives pour enregistrer Donna Rae Jackson , animatrice de l'émission Dance Party , sur WHBQ , et Nadine Easton ( dont Jim Stewart reprit en partie le nom pour forger celui d'une de ses entreprises , East Publishing ) échouèrent pareillement , en dépit de la présence en studio d'un jeune guitariste de LaGrange , Géorgie , qui bouillonnait d'idées et témoignait d'un excellent état d'esprit . A vingt et un ans , Chips Moman venait d'arriver en ville après un bref séjour en Californie au cours duquel il avait acquis une solide expérience de guitariste de studio occasionnel au Gold Star Studio de Los Angeles . Il avait également passé pas mal de temps sur la route avec , entre autres , Gene Vincent et Johnny et Dorsey Burnette et , cela n'avait rien d'étonnant , toute sa personne respirait le joueur professionnel , brutalité des manières comprise ( le jeu disputait à la musique la première place au rang de ses passions ) . Il prit rapidement le contrôle des sessions de Jim Stewart , tout comme il allait un jour prendre celui de l'industrie de la musique à Memphis , produisant les Box Tops , B.J. Thomas , les Gentrys et même Elvis Presley , tout en poursuivant ses innombrables autres occupations dans son propre studio , American Records .
Estelle Axton et Jim Stewart
Il fallut attendre 1958 pour qu'Estelle Axton entre en jeu . Jim apporte ce premier disque à la maison et demande à sa soeur son avis sur cet enregistrement . Elle lui répond que c'est pas mal , mais que le son est un peu maigre . Jim lui rétorque que le seul moyen d'avoir un meilleur son , c'est d'avoir un meilleur équipement pour enregistrer . C'est ainsi qu'il en est venu à demander à Estelle si elle etait intéressée par un éventuel investissement dans son label . La suite est bien connue : Estelle obtint 2.500 Dollars ; la somme n'était pas insignifiante en 1958 pour des gens qui " aimaient la musique mais n'en conservaient pas moins leurs activités professionnelles " , en contractant une seconde hypothèque sur sa maison . Ils se procurèrent un magnétophone monophonique Ampex et quittèrent le garage pour la campagne , en l'occurrence pour Brunswick , à 50 kilomètres à l'Est de Memphis , où M. Mitchell , un autre ami coiffeur de Jim Stewart , possédait un vieil entrepôt dont il n'avait pas l'usage . M. Mitchell avait aussi une fille qu'il voulait absolument lancer dans la carrière musicale . Il leur propose cet entrepôt si Jim et Estelle vident celui ci et fassent le ménage sur quelques étagères . C'est ce qu'ils firent ; ils sont allés là-bas , ont tout nettoyé et installé leur équipement acoustique . Jim Stewart s'intéressait au matériel d'enregistrement depuis déjà un bon moment . Bien entendu , ce n'est pas bien difficile d'être ingenieur du son quand votre machine n'a qu'une seule piste . Estelle Axton apprend à s'en servir , mais ils ont un petit groupe dont Steve Cropper en fait partie . Le fils d'Estelle , Charles " Packy " Axton ( The Packers ) jouait du saxophone ténor . Charlie Freeman était à la guitare , Terry Johnson à la batterie et Donald " Duck " Dunn à la guitare basse . Ils s'étaient tous connus à la Messick High Scool , où ils avaient formé un petit groupe de Rock qui se faisait appeler les Royal Spades . Quand Packy leur a été présenté , ils étaient déjà assez nombreux à pouvoir jouer de la guitare , alors ils lui demandèrent d'apprendre à jouer un instrument à vent et c'est ainsi que Packy a revendu sa guitare et qu'il est devenu saxophoniste ténor . Estelle travaillait à la banque cinq jours par semaine et tous les Samedis elle entassait tous ce petit monde , équipement compris dans sa voiture qui partaient pour Brunswick . Ils s'installaient , puis jouaient et répétaient , enfin faisaient tout ce que les musiciens font dans ces moments-là , et c'est comme cela qu'Estelle a appris à se servir du matériel d'enregistrement . Ce devint bientôt une sorte de passion dévorante ; ils passaient tous leurs week-ends à Brunswick , répétant assidûment la plupart du temps , assurant peut-être une ou deux séances " professionnelles " en accompagnant Charlie Heinz ou Nick Charles , un autre DJ du cru , recruté pour faire bonne mesure . Estelle monta un stand de vente de crèmes glacées ( Satellite Dairy ) pour faire rentrer un peu d'argent et se mit à essayer de vendre des disques locaux .
Jim essaya différents sons . Le " petit groupe de Rock du lycée " répétait continuellement . On aurait dit que le train attendait qu'ils se lancent dans une véritable séance pour venir faire trembler les vitres . Pour Jim , qui découvrit précisément à cette époque le Rhythm 'n' Blues en écoutant le " What'd I Say " de Ray Charles , le simple fait d'être impliqué dans la fabrication d'un disque semblait la réalisation d'un rêve ( comme s'il était intoxiqué , dès la deuxième prise completement accro ) . Estelle ne s'impliquait pas moins dans l'entreprise ; elle qui n'y avait jamais pensé avant de se retrouver au beau milieu de tout ça , se mit à vivre dedans 24 heures sur 24 , si bien que lorsqu'elle n'y travaillait pas , elle en rêvait . Ils sortirent trois ou quatre disques ; de la Country , du Rockabilly , et du Rhythm 'n' Blues qui ne connurent aucun succès ( le single de Rhythm 'n' Blues , distribué par Mercury Records à la fin de l'Automne 1959 ( Septembre , The Veltones Satellite Records 100 [ US ] ) , encore moins que les autres ) . En 1960 , ils eurent la possibilité de revenir s'installer en ville . Chips Moman avait remarqué une vieille salle de cinéma dans un quartier de l'Est de Memphis ( East Mc Lemore ) , " le Capitol " , qui avait jadis abrité des spectacles de Country & Western avant d'être transformée en église , et était à ce moment-là désaffectée . Le loyer n'était que de 100 Dollars par mois et Jim et Estelle sautèrent sur l'occasion . Ils reprirent une fois de plus tout à zéro . Ils arrachèrent les sièges de la salle , construisirent une cabine de contrôle à côté de la scène , installèrent de la moquette , capitonnèrent les murs et , pour améliorer l'acoustique , fixèrent au plafond des drapés qu'Estelle avait confectionnés chez elle . Comme la salle était trop grande pour leur petit magnétophone Ampex , ils la divisèrent en deux à l'aide d'une cloison provisoire et transformèrent le stand de vente de pop-corn et de bonbons dans le hall d'entrée en un magasin de disques qui leur procura la majeure partie de leurs premiers revenus . La quasi-totalité du travail fut effectuée la nuit , le week-end , ou pendant les quelques moments que Jim , Estelle , Packy , les amis de Packy et Chips Moman pouvaient grapiller sur leurs emplois extérieurs . A peine mettaient-ils un point final à leur installation que Rufus Thomas franchissait le pas de leur porte . Rufus Thomas était une sorte de légende locale . MC des concours d'artistes amateurs Amateur Night au Palace et au Handy ( lesquels avaient vu débuter B.B. King , et Bobby " Blue " Bland ) , Rufus Thomas avait enregistré des disques de Blues et de Variété pour plusieurs labels , parmi lesquels Sun Records de Sam Phillips , dont il a toujours prétendu être à l'origine du succès . Il fut de fait responsable du premier hit de Sun Records avec " Bear Cat " , une réponse au " Hound Dog " de Big Mama Thornton en 1953 , et aurait sans doute continué à travailler avec Sam Phillips sans l'apparition d'Elvis Presley qui bouleversa à ce moment-là le cours de Sun Records et de la musique Américaine . Rufus Thomas chercha encore à enregistrer pour de plus petits labels de Memphis , comme Meteor Records . Il poursuivit sa carrière de DJ sur la même station de radio , WDIA , bien connue dans le Sud sous le nom de " Station-Mère des Négros " , mais qui diffusait aussi , au début des années 30 , des groupes de musique Hillbilly , et sur laquelle on pouvait entendre les groupes de Country Swing au sein desquels Jim Stewart jouait du violon . Il garda cependant le poste à la maintenance des chaudières d'une usine textile qu'il occupait depuis 1940 , car faire carrière dans le show business était une entreprise bien aventureuse pour un homme marié qui voulait que ses trois enfants aient une éducation décente . Lorsqu'il fit un détour par ce qui fut " le Capitol " , il avait 43 ans , des vêtements chics et était toujours dans la course grâce à son extraordinaire bagout ( il le proclamait lui-même dans le lancement de son émission de radio " I'm young and full of juice / I got the goose , so what's the use ? ) [ Je suis jeune , cool et plein de jus / J'ai la pêche , que demander de plus ? ] . Jim Stewart travaillait alors sur une nouvelle chanson Pop avec Charlie Heinz et il ne se passait pas grand choses . Rufus Thomas , qui était tout sauf défaitiste , était passé par là sur les conseils d'un de ses amis , le pianiste de Blues Robert Talley , qui sentait que quelque chose d'intéressant se préparait du côté de ce nouveau studio . Il ne se souvenait pas de Jim , mais celui ci , se rappellait que Rufus Thomas avait lancé " Someday " des Veltones , le premier disque Rhythm 'n' Blues de Satellite Records , sur l'antenne de WDIA . Comme il s'agissait d'un groupe local , Rufus Thomas avait été d'une grande aide , mais le disque n'en avait pas moins eu aucun succès , même à Memphis , et les Veltones restèrent cantonnés à un rôle d'attraction pour Night-Clubs . Rufus Thomas , comme toujours , avait une idée derrière la tête . Si quiconque dans le métier pouvait prétendre mériter le qualificatif usé jusqu'à la corde de " survivant " , c'était bien lui . Il s'était lui-même attribué le titre de " plus vieil adolescent du monde " . Il avait commencé sa carrière dans les " Minstrel Shows " ( les Minstrel Shows étaient des spectacles ambulants dont faisaient partie des musiciens Noirs de Blues ou de Folk . Ce type de théâtre apparut après la guerre de Sécession et prenait pour modèle des troupes ambulantes Blanches qui se produisaient alors dans les campagnes et qui mettaient en scène depuis 1800 des comédiens Blancs qui se noircissaient le visage à la suie pour interpréter des sketchs censés représenter sur un mode comique , la vie des Noirs ) pour finir vers quarante-cinq ans par apprendre aux Rolling Stones comment il fallait sortir le chien ( Allusion à la série de hits canins interprétés par Rufus Thomas à partir de 1963 : " The Dog " , " Walking The Dog " , " Can Your Monkey Do The Dog " et enfin " Somebody Stole My Dog " . Une reprise de " Walking The Dog " conclut le premier album des Rolling Stones ) . Cette fois-ci , son idée fut d'interpréter en duo avec sa fille Carla ( dix-sept ans , alors en terminale à la Hamilton High School , avait déjà presque dix ans de show business derrière elle , s'étant notamment produite avec les Teen Town Singers ) , une chanson enjouée et rapide de sa composition , " Cause I Love You " .
Quelques Stax Records # 2 : 12'02
Lorsqu'ils eurent finalement achevé l'enregistrement de la chanson , qui sortit en Aout 1960 ( Satellite Records 102 / Atco Records 6177 [ US ] ) , Carla Thomas était déjà en route pour la faculté de Tennessee State à Nashville . Marvell , le frère de Carla , jouait la partie de piano , Robert Talley était à la trompette , Steve Cropper , présent à la session est inaudible derrière sa guitare ; quand à la partie de saxophone baryton , elle est assurée par le tout jeune Booker T. Jones , qui avait été présenté au reste du studio par David Porter ( alors garçon de courses au John Big Star et futur artiste et Songwriter ) . Satellite Records attribua , non sans astuce , une partie des crédits de publication de la chanson à John R. ( Richebourg ) , un DJ de la radio WLAC de Nashville dont la voix profonde suffisait parfois à faire et défaire les succès du Rhythm 'n' Blues , et dont l'émission tardive était écoutée dans tout le Sud . Grâce à l'influence de John R. , désormais impliqué financièrement dans le disque , grâce à Rufus Thomas , et grâce à Dick " Cane " Cole , collègue de Rufus Thomas sur WLOK , l'autre radio Rhythm 'n' Blues de Memphis , " Cause I Love You " bénéficia d'une surprenante quantité de passages sur les radios locales et frôla le statut de hit dans tout le Sud ( Rufus Thomas le joua même à San Francisco grâce à sonderling , la chaîne propriétaire de WDIA ) . Lorsque le disque se fut vendu à 15.000 ou 20.000 exemplaires , il attira l'attention de Jerry Wexler à New York , par l'entremise de Leon McLemore , gérant de Music Sales , distributeur à Memphis d'Atlantic Records ( et de Satellite Records ) . Jerry Wexler acheta l'enregistrement pour 1.00 Dollars , et prit une option de cinq ans sur ce que Jim Stewart et Estelle Axton pensèrent être l'ensemble des autres duos interprétés par Rufus et Carla Thomas . Ces 1.000 Dollars revêtaient aux yeux de Jim et d'Estelle une importance particulière , car c'était la première somme d'argent qu'ils gagnèrent en trois ans dans le business ( Jim ne savait même pas ce qu'était un label de distribution , ni un contrat de production !!! ) . Le pourcentage qui leurs revenait était si faible que ça en parait irréel aujourd'hui . Mais c'était un début et donc un moment très important pour Jim Stewart qui était vraiment mordu à son travail . Ils réinvestirent tout l'argent d'Atlantic Records dans leur entreprise . Lors de la première session , Carla Thomas avait joué une chanson au piano , et tout le monde s'accordait à dire que ça pouvait vraiment faire un hit . Personne à Satellite Records n'était prêt à en démordre . Jim Stewart et Estelle Axton avaient enfin vu le bout du tunnel , et s'ils le devaient au Rhythm 'n' Blues , qu'il en soit donc ainsi ! D'après Jim Stewart , ce n'était pas une décision consciente . Ils ne se sont pas assis pour dire qu'il fallait continuer à faire de la musique Noire ; c'était un concours de circonstances : le disquaire , les gens qui commencaient à passer les voir au studio . Après ce succès avec Rufus et Carla Thomas , ce fut comme s'ils oblitéraient toute une partie de leurs vies passées . A partir de là , ils n'ont jamais plus regardé en arrière . " Gee Whiz " , premier titre solo de Carla Thomas , enregistré à l'automne 1960 , fut le premier disque pour lequel Stax Records put revendiquer le statut de hit national ( Satellite Records 104 / Atlantic Records 2086 [ US ] Novembre 1960 ) .
Carla Thomas
Le choc fut si fort qu'Atlantic Records , qui avait déjà plus ou moins abandonné la distribution des disques Satellite Records ( c'est du moins la version des faits que Jim Stewart et Estelle Axton donnèrent après avoir monté leur propre label ) , protesta de façon retentissante et véhémente , affirmant qu'il détenait un contrat qui leur donnait le droit de distribuer tous les produits Satellite Records . Jim Stewart et Estelle Axton répliquèrent que le contrat portait uniquement sur les duos réunissant Rufus et Carla Thomas , mais il résulta de tout ceci que Carla Thomas , bien que demeurant chez Satellite Records , finit par signer sur le label Atlantic Records . Jerry Wexler rendit une visite mémorable aux bureaux de McLemore Avenue , et Satellite Records étendit son accord de distribution avec Atlantic Records à tous ses produits . A cette époque Jim Stewart pensait sérieusement à devenir indépendant mais Jerry Wexler l'en dissuada fortement , prétextant comme une grossière erreur dans laquelle Jim Stewart plongerait s'en en connaitre les difficultés qui l'attendaient . Finalement Jim Stewart décide de signer avec Atlantic Records pour cinq ans et de voir venir . Rétrospectivement , c'était ça l'erreur ; l'industrie du disque se portait tellement bien qu'il aurait pu devenir indépendant dès ce moment-là , mais en fait , sur le long terme , cela lui a permis de se concentrer sur la production des disques et sur les aspects créatifs de son travail . Satellite Records pouvait-il vraiment devenir indépendant à cet instant précis de son développement ? Le débat reste ouvert . Toujours est-il qu'avec " Gee Whiz " , pour la première fois , les différents éléments créatifs du studio s'accordaient plus ou moins autour d'une méthodologie improvisée . Le disque en lui-même fut produit par Chips Moman et enregistré par Jim Stewart . La partie de cordes fut écrite au pied levé par Jim Stewart et Noel Gilbert , chef d'orchestre du Memphis Symphony , l'arrangeur qui avait été engagé ne s'étant jamais présenté au studio . Le rôle joué par Jerry Wexler dans ce projet n'est lui-même pas bien défini , et donne le ton de la relation ambiguë qu'il entretint des années durant avec Memphis . D'après Jerry Wexler , il avait invité Rufus , Carla , Mme Thomas et Jim Stewart dans sa suite d'hôtel pour célébrer leur association naissante . S'ils ont dû se réunir à l'hôtel , c'est à cause de la ségrégation dans les lieux publics qui perdurait à Memphis , mais aussi , toujours selon Jerry Wexler , parce que Jim Stewart n'était pas encore prêt à inviter des Nègres chez lui . Jerry Wexler et Jim Stewart passèrent chercher Rufus Thomas à la station de radio , puis , suivant les instructions données par Jim Stewart , utilisèrent l'entrée de service pour pénétrer dans l'hôtel et furent obligés de se frayer un passage entre les poubelles pour arriver jusqu'à lui . " Gee Whiz " le petit poème de Carla Thomas fut un hit et entra dans les Tops 10 Pop et Rhythm 'n' Blues au début de l'année 1961 , mais il manquait encore au label une ligne directrice . La chanson , avec ses tonalités douces et éthérées et son enrobage de cordes sirupeux , n'avait pas grand-chose à voir avec du Rhythm 'n' Blues pur et dur , et l'artiste , aussi fraîche et talentueuse fût-elle , ne renvoyait pas l'image qu'on attendait d'une candidate au succès . Il fallut de fait une visite de ses parents et de Jerry Wexler pour convaincre le doyen de son université de la laisser consacrer un ou deux de ses week-ends à donner des concerts , une fois ses examens de fin d'année réussis . Satellite Records n'avait rien de prévu dans l'immédiat , et , à l'exception de Rufus et Carla Thomas , aucun artiste à promouvoir . Il restait à l'hasardeuse opération qui avait conduit au succès de " Gee Whiz " à prouver qu'elle était plus qu'un feu de paille : le label revêtait pour l'instant l'apparence d'une petite entreprise familiale sans rien pour attirer l'intérêt des investisseurs . Très vite , la situation fut prise en main par une équipe au caractère peu orthodoxe même pour Memphis , ville pourtant coutumière du peu d'orthodoxie . Chaque matin , rappelé à l'ordre par un coup de téléphone de sa mère depuis la banque où elle travaillait , Packy , le fils d'Estelle Axton , faisait l'ouverture du studio . Il avait quitté le lycée , de même que tous ses amis , depuis Juin 1959 ( Steve Cropper était alors élève ingénieur au Memphis State ) , mais pour lui , comme pour sa mère et son oncle , rien d'autre n'existait que le business de la musique . Toutes les nuits où il ne jouait pas avec les Royal Spades ( le groupe né à l'époque du lycée et qui avait répété avec tant d'enthousiasme dans le studio de Brunswick ) , il faisait la tournée des clubs avec de nouvelles connaissances rencontrées à Satellite Records , s'imprégnait de l'atmosphère des diverses boîtes qui jouaient du Rhythm 'n' Blues , se présentant , d'après William Brown ( l'un des enfants du quartier qui trouva du travail à la boutique de disques Satellite Records et poursuivit sa route pour devenir à la fois un artiste , avec les Mad Lads , et le premier ingénieur du son Noir de la compagnie ) , dans des lieux où très peu d'autres Blancs osaient se risquer . Pour son ami musicien Jim Dickinson , il était un des individus attachant le moins d'importance aux différences de race qu'il ait jamais rencontrés . Une fois le studio ouvert par Packy , il n'était pas rare que Chips Moman y vienne traîner à un moment ou un autre de l'après-midi , à peine remis du concert auquel il avait participé la veille au soir . Peu de temps après , toute la bande de la Booker T. ( la Booker T. Washington High School pouvait se prévaloir d'avoir compté parmi ses élèves , tout juste diplômés ou sur le point de l'être , les chanteurs et songwriters David Porter et Homer Banks , ainsi que le multi-instrumentiste Booker T. Jones , dont le père enseignait les sciences et les mathématiques dans ce même lycée ) débarquait au studio pour voir ce qu'il s'y passait . Il n'était pas rare de voir des amis de Packy et des camarades musiciens ( le guitariste Charlie Freeman , Steve Cropper , Donald " Duck " Dunn et le saxophoniste Don Nix ) le rejoindre à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit pour une jam session , ou simplement écouter et étudier les dernières nouveautés , dans l'espoir d'être le premier groupe blanc de Memphis à pouvoir reproduire note pour note les derniers succès des Midnighters ou des 5 Royales . Chaque après-midi , à 16h30 , celle que tout le monde appelait " Miz Axton " faisait son entrée , enfin libérée de la corvée de son travail à la banque , prête à changer d'identité pour se fondre dans un monde où elle se voyait en mère de famille inspirée ou , peut-être , en gardienne de rêves . Jim Stewart , aux manières très douces en apparence ( nombre de ses anciens collègues disaient de lui qu'il avait tout du " caissier de banque " ) , présentant moins bien que sa soeur , ne laissant jamais transparaître ses émotions ( à l'exception de disopsitions à la nervosité et à un certain autoritarisme ) , ne pouvait pas toujours être là aussi tôt , mais rejoignait le studio toutes les nuits . Il avait abandonné toute pratique instrumentale ; son intérêt pour la musique se concentrait à présent sur le travail d'enregistrement en studio . Nuit après nuit , ils expérimentaient , essayaient différents sons ( produits par des gosses blancs et noirs inexpérimentés ) , parmi lesquels venait à l'occasion s'ajouter un cuivre noir ( Fred Ford ou Gilbert Caples , de la Plantation Inn , chef de l'orchestre où jouait James Mitchell , le frère de Willie Mitchell ) , le tout sous la direction d'un timide employé de banque et d'un guitariste dur-à-cuire qui aurait préféré être joueur professionnel . Ils cherchèrent sans répit à reproduire la formule qu'ils avaient découverte fortuitement avec le succès de Rufus et Carla Thomas . Ils essayaient de récapituler les éléments de leurs succès afin de parvenir , non à le reproduire , mais à le dépasser . Il n'est pas surprenant que la boutique du disquaire occupât une place centrale dans ce processus d'expérimentation .
Estelle Axton devant Stax Records
Quelques Stax Records # 3 : 28'34
Elle leur offrait tout d'abord l'accès à tous les nouveaux sons dès leur mise sur le marché . Plus important encore , elle leur permettait de prendre en permanence le pouls de la communauté . Selon William Brown ; " Popar Tunes " ( le disquaire , propriété de Joe Cuoghi , à partir duquel se développa le label Hi Records ) était le plus grand magasin de disques , mais Satellite Records était le meilleur . D'après Booker T. Jones , " Miz " Axton avait toujours passé au client le disque demandé ; il se souvient que l'atmosphère du magasin avait quelque chose de " magique " . Le magasin donnait l'opportunité à Estelle Axton de parler boutique avec tous les responsables de la promotion qui venaient présenter leurs produits , parmi lesquels des vieux de la vieille comme Joe Galkin , venu pousser à la vente du nouveau disque de Solomon Burke pour Atlantic Records , mais qui ne dédaignait pas non plus recueillir de bons conseils . Estelle Axton s'amusait beaucoup avec Joe Galkin , car il venait pour parler de disques et il s'adressait à elle parce ce que c'était elle qui tenait le magasin . Cette boutique se révéla être un des meilleurs outils de Stax Records , car les musiciens venaient y écouter des hits et analysaient plutôt bien les " raisons " pour lesquelles c'étaient des hits . C'était pratique pour eux : ils n'avaient qu'à entrer et à écouter . Chips Moman n'était pas le dernier à savoir déterminer quelle partie d'un disque l'amenait au statut de hit , à l'extraire et à en tirer une toute nouvelle chanson . Jim Stewart avait aussi l'habitude de se pointer alors qu'Estelle avait vraiment beaucoup de travail , et de rester là , à regarder quels disques se vendaient . Et il lui reconnaissait une qualité ; celle d'être le disquaire le plus diaboliquement efficace qu'il ait jamais vu . Il disait qu'il voyait des gens si pauvres rentrer dans la boutique qu'ils ne leur restait que 20 Dollars sur eux , et qu'Estelle arrivait immanquablement à leur en soutirer 19 avant qu'ils ne partent , parce qu'elle trouvait toujours quelque chose à leur vendre .
Jim Stewart
Jim Stewart avait l'habitude de passer ses nuits de Vendredi et de Samedi au magasin lorsqu'il n'avais pas d'enregistrement en cours . Au début , c'était nécessaire , parce qu'il ne pouvait engager personne pour l'aider , et puis de fil en aiguille il y prit goût . Ce fut une formidable expérience pour lui , et ces moments comptèrent sans doute parmi les plus heureux de sa vie . La magie ambiante provenait aussi de l'atmosphère " transraciale " , proche de celle que l'on retrouvait chez les musiciens de Be Bop , et diversement attribuée à Packy , à Chips Moman et au quartier McLemore où était situé le studio . Etonnante dans l'Amérique de 1960 , cette atmosphère l'était plus encore dans une ville du Sud comme Memphis . Memphis , en 1960 ( et Jerry Wexler n'est pas le seul à pouvoir en témoigner ) appliquait strictement les règles de la ségrégation . En dépit d'une révolution sociale qui luttait alors pour s'affirmer , de sa réputation de berceau du Blues , de l'existence d'une radio comme WDIA et de la naissance du Rock 'n' Roll dans les studios Sun Records de la 706 Union , la ville ne disposait pas de beaucoup de lieux où Blancs et Noirs étaient libres de se mêler .
La station radio WDIA
Les adolescents Blancs qui avaient envie " d'aventure " allaient à la Plantation Inn , dans les quartiers Ouest ( ticket pour le Rhythm 'n' Blues , clientèle Blanche uniquement ) : c'est là que Phineas Newborn Sr. , Ben Branch et le trompettiste Willie Mitchell dirigeaient de petits orchestres de Jump , que Packy Axton et Donald " Duck " Dunn venaient tirer leur inspiration du sax de Gilbert Caple et du jeu de basse de Larry Brown , que les Largoes produisaient sur scène des imitations quasi parfaites des derniers hits ( et des derniers pas de danse à la mode ) , et qu'un serveur du nom de Tennessee Turner , connu également sous le sobriquet de " Sissy Charles " , chantait , au moins deux fois par nuit , " Danny Boy " et " He's Got The Whole World In His Hands " . Les anecdotes sur la Plantation Inn abondent ( mêlant le mythe à la réalité ) et quiquonque ayant grandi dans le quartier et fréquenté le club se souvient de l'enseigne lumineuse où était écrit " Venez vous amuser avec Morris " ( il s'agissait de Morris Berger , le propriétaire , qui fut également le père du manager Louis Jack ) , des bagarres qui accompagnaient l'amusement , des moments passés avec leur petite amie , assis dans le parking , à écouter et à ressentir la musique vibrer au travers de l'immeuble long et bas , ou encore de Big Bell le batteur , de Blind Oscar le pianiste et de Raymond Vega le videur . Ceux qui suivaient au plus près l'actualité du Rhythm 'n' Blues savaient que les 5 Royales ( qui enregistraient à cette époque pour le label local Home Of The Blues Records de Reuben Cherry avec Willie Mitchell à la production ) passaient souvent à Memphis et se produisaient à l'occasion au Beverly Room de Clearpool , une des salles qu'avait fréquentées très tôt Jim Stewart , située sur Lamar Avenue et aisément accessible à la foule de Messick High . Pendant ce temps , les gamins Noirs traînaient au Clifford Miller's Flamingo Room , sur Hernando Street , dans le centre ville . Un Booker T. Jones de quatorze ans s'y faufilait pour jouer de la basse ou du saxophone baryton avec le groupe de Willie Mitchell , et , ce faisant , y rencontra le batteur de Willie Mitchell , Al Jackson Jr. ( Al Jackson Sr. était lui-même un bassiste accompli et dirigeait l'un des trois grands orchestres admis dans la haute société de la ville ) . Le Club Handy , malgré son grand âge , était toujours en activité sur Beale Street , administré par Sunbeam Mitchell . Le Club Tropicana de Johnny et Susie Curry proposait des spectacles de divertissement de haute tenue , et Little David ( Porter ) ainsi que Barbara Griffin ( future épouse d'Al Jackson Jr. ) se produisaient régulièrement au Tiki Club . William Bell et les Del Rios , Isaac Hayes et les Do-Dads , le big band de Bren Branch et celui de Bowleg Miller apparaissent plus ou moins fréquemment au programme des clubs un peu partout dans la ville ( tout cela sans parler des spectacles amateurs au Palace et au Handy . Autrement dit , la scène du divertissement était florissante et toutes les musiques y avaient leur place : big bands de Jazz , artistes de Rhythm 'n' Blues et de Blues . Mais tout cela ne concernait que le public Noir , auquel se mêlait à l'occasion un gamin Blanc , mouchoir noué autour de la tête , comme Packy et son ami Don Nix lorsque d'aventure ils pénétraient dans ces clubs . Le seul vrai facteur d'intégration était la radio . Les White Citizens' Councils protestaient : pouvait-on seulement savoir quel démon se tapissait dans le coeur des adolescents , ou quelle musique ils écoutaient en parcourant la ville au volant de leurs décapotables ? Pouvait-on savoir combien de gosses Blancs étaient envoûtés par les rythmes sauvages et violents charriés sur les ondes par des personnalités telles que Rufus " Bear Cat " Thomas , Al " Moohah " Williams , Robert " Honeyboy " Thomas ou Dick " Caine " Cole ? Et qui aurait seulement soupçonné que tous ces fils réunis par des liens à peine discernables , allaient converger sous une même bannière , celle de Stax ( Satellite ) Records , que toute cette énergie brute allait , d'une manière ou d'une autre , se transformer en une activité bouillonnante , digne de celle d'une ruche , et qui gagnerait rapidement en puissance , abritée par le vieux " Capitol Theater " , au 926 East McLemore Avenue ? Une seule explication à cela : c'est à cet endroit précis que toutes les pièces du puzzle se sont mises en place . C'est là que tout un improbable éventail de personnalités musicales , s'est trouvé réuni et a pu faire connaissance sur un pied d'égalité ( au moins pendant un temps ) .
Charles " Packy " Axton
Le néophyte Packy Axton aurait-il pu bénéficier ailleurs de l'expérience qu'avait engrangée Gilbert Caples tout au long de sa vie ? Ailleurs , un jeune et ambitieux guitariste comme Steve Cropper aurait-il eu la chance de jouer avec un bassiste de la trempe de Lexis Steinberg ( de la famille Steinberg , bien connue dans le monde de la musique noire ) ou un batteur comme Curtis Green , de la Plantation Inn ? Ailleurs , un Booker T. Jones en culottes courtes aurait-il pu échapper à la fois au ghetto et à la bourgeoisie noire , et se mesurer à une intelligence musicale aussi vive et aussi différente de la sienne que celle de Chips Moman ? Ailleurs , une association comme les Memphis Horns , réunissant Wayne Jackson , fils de fermier blanc de l'Ouest de Memphis , et ses homologues noirs Andrew Love et Floyd Newman ( ce dernier étudiait pour devenir professeur au moment de leur rencontre ) , aurait-elle eu la moindre chance de voir le jour ? Estelle Axton appelle cela " une école " . Ces gamins y ont appris tellement en termes de technique et d'âme ( Soul ) ( jusque-là ils n'avaient grosso modo joué que du Rock 'n' Roll , les guitaristes grattaient leurs guitares , le batteur s'excitait sur ses fûts , mais quand ils se laissaient emporter par le feeling , ils communiaient vraiment avec les musiciens noirs . Ils apprirent à écrire , ils s'approprièrent ces sensations , et ils devinrent sacrêment bons . Rufus Thomas , dont le point de vue est un peu plus acerbe , avait l'impression , comme souvent , que son apport n'était pas apprécié à sa juste valeur : " Jim Stewart ne connaissait rien à ce genre de musique à cette époque " . Jim Stewart lui-même n'hésite d'ailleurs pas à approuver le jugement de Rufus Thomas , au moins dans ses grandes lignes : " je ne pense pas que nous étions à la recherche d'un son bien particulier ; je ne pense pas que c'était le but de notre entreprise . Mais il y eut tous ces gens qui ont été réunis par cette entreprise , et la façon dont ils se sont trouvés était naturelle , c'était une forme naturelle d'expression musicale . C'était la combinaison de musiciens blancs et noirs , et de leurs idées . C'est arrivé comme ça , il n'y a rien d'autre à comprendre . En Janvier 1961 Satellite Records publie le single des Chips " You Make Me Feel So Good " ( Satellite Records 105 [ US ] ) qui obtient un vif succès , bientôt relayé par
" Last Night "
Le saut quantique vers l'avant qui s'ensuivit ( vers un nouveau nom et un nouveau son ) allait être tout accidentel , ou peut-être , selon la formule de Jim Stewart , tout aussi inévitable . " Last Night " , interprété par les jusqu'alors inconnus Mar-Keys ( sous ce nom se cachait en fait un groupe de studio qui se réunissait en définitive aux membres de l'ancien groupe de Packy , les Royal Spades ) , sortit discrètement en Juin 1961 ( une ligne de plus à la longue liste des instrumentaux enregistrés à Memphis ) et rentra rapidement dans le Top 10 Pop . Ce n'était qu'un riff tout simple s'appuyant sur une accroche mélodique qui paraît aujourd'hui presque atavique dans sa répétition même , et l'enregistrement , s'étalant sur plusieurs mois , fut le thêatre d'un si grand nombre de changements d'orientation musicale et de personnel que personne n'est vraiment sûr de savoir qui joue ou ne joue pas sur la bande finalement publiée . Packy est crédité pour le cinquième de la composition , et , insiste farouchement sa mère , est en grande partie à l'origine de la chanson . Charlie Freeman , qui , à la toute fin des Royal Spades , avait assuré leur direction musicale et leur direction spirituelle , quitta le groupe juste avant le succès du disque pour rejoindre le Joe Lee Orchestra , un " vrai " groupe doté d'uniformes et de partitions complétes . Chips Moman a toujours estimé que sa contribution propre , cette fois comme toutes les autres chez Satellite Records , avait été sous-évaluée . Il produisit ce disque . Steve Cropper prétend avoir été obligé d'aller voir Jim Stewart pour que lui soit reconnue une partie des crédits sous la forme d'une petite somme d'argent . Rien de tout cela n'aurait vraiment de signification si le disque n'avait pas été un hit pur et simple , mais " Last Night " scelle une fois pour toutes , non seulement le son mais aussi le noyau du groupe qui allait devenir un des deux piliers de Stax Records . Les Royal Spades avaient fait du chemin depuis l'époque où , petit groupe de lycée , ils s'entassaient dans la voiture d'Estelle Axton tous les Samedi après-midi pour aller répéter à Brunswick . Au départ simple section rythmique aux ambitions Rock 'n' Roll et Blues ( le guitariste Steve Cropper jouait de l'harmonica à l'aide d'un porte-harmonica , imitant en cela Jimmy Reed , artite de Blues idolâtré par tout le groupe ) , le groupe se métamorphosa très tôt , intégrant simultanément une section de cuivres et l'esprit chantique de Packy , en orchestre de Rhythm 'n' Blues . En trois ans , il était devenu le groupe de Rhythm 'n' Blues blanc le plus important de Memphis . Ils pouvaient se prévaloir non seulement de connaître leurs classiques ( ils se référaient aux Gladiolas , non aux Diamonds , et déterraient quelques titres obscurs des Midnighters et des " 5 " Royales ou la reprise de " Witchcraft "par les Spiders ) , mais également d'être capables de jouer leurs propres versions de ces classiques avant leurs concurrents et mieux que n'importe qui d'autre en ville . Issus de la frange inférieure de la classe moyenne ( leurs parents étaient professeurs , employés de banque , tous de respectables travailleurs prolétaires ) , ils prenaient la musique très au sérieux . Steve Cropper , par exemple , fut transporté de joie quand Bill Justis enregistra une chanson que lui-même avait écrite en terminale , et il se rappelle encore le moment où il décida de devenir guitariste de Rock 'n' Roll en voyant Ed Bruce , un de ses aînés , jouer à l'office du Vendredi Matin . Il était alors en deuxième année à Messick .
Donald " Duck " Dunn
Pour Donald " Duck " Dunn , ce n'était pas travailler que de travailler pour son frère Bobby chez King Records . Packy et Charlie Freeman , tous deux morts prématurément , ne connurent pas d'autre vie que la musique . A ce point de notre récit , il faut bien admettre que la dynamique interne des Royal Spades fait l'objet de plusieurs interprétations contradictoires . Selon Estelle Axton , Packy aurait été le leader du groupe , alors qu'en réalité il était à peu de chose près la dernière roue du carrosse ( le groupe était déjà bien rodé quand il le rejoignit , et des bruits courent comme quoi sa présence était due au fait que sa mère possédait le studio plus qu'à ses propres capacités , au moins dans un premier temps ) . Pour beaucoup , Charlie Freeman y aurait tenu une place centrale , et il est indéniable qu'il était le musicien le plus compétent ( alors que tous les autres étaient encore au lycée , ses parents lui payèrent des leçons auprès du guitariste de Jazz Lynn Vernon ; ses conseils furent plus tard utiles à Steve Cropper ) . C'était lui , en outre , qui était considéré comme le James Dean de la bande . La version de Steve Cropper est cependant différente : " j'étais le leader . Je suis à l'origine de tout . Je prenais la plupart des décisions touchant à ce qu'on allait jouer , et au moment et à la manière de le faire " . Tout le reste du groupe parle plutôt d'une combinaison de différents facteurs ( mais tout dépend de leur état d'esprit du moment envers Steve Cropper qui est à cet égard à l'image de certains athlètes naturellement doués : comme Rick Barry ou Jim Palmer , il peut paraître tellement plein d'assurance , tellement préoccupé de lui-même qu'il en vient souvent à servir de paratonnerre aux déceptions et aux ressentiments d'autrui ) . En conclusion , il est très probable que le groupe n'était pas dirigé par une mais par trois têtes pensantes : le travail visionnaire était assuré par Packy et Charlie Freeman ( ils n'étaient pas toujours les plus en vue , ils n'agissaient pas toujours de façon cohérente l'un par rapport à l'autre , mais ils avaient toujours un temps d'avance sur la mêlée ) et le travail pratique était du ressort de Steve Cropper , qui s'occupait des problèmes d'emploi du temps , de réservation de salles et qui s'assurait que le groupe arrive plus ou moins sobre et en état de jouer à ses concerts . Tout se compliqua assez vite lorsque Packy devint un sujet de dispute entre Estelle Axton et Jim Stewart , tandis que Steve Cropper s'attirait les foudres du reste du groupe en faisant à ces deux même personnes une cour assidue . Il n'est évidemment pas possible de rendre entièrement compte en quelques mots de la complexité des relations qui unirent , vingt années durant , le groupe et son entourage , mais il n'en est pas moins important de souligner que tout était loin d'être harmonieux au début de cette aventure . Toute romantique que puisse paraître cette histoire , il ne faut pas oublier son ancrage profond dans une réalité ambivalente . Les premiers concerts que les Royal Spades donnèrent hors des salles des fêtes de lycées et des cafétérias étudiantes eurent lieu dans un club plutôt " chaud " ( chaud comme un putain d'étalon en rut ) de Millington , Neal's Hideaway , situé à la sortie de la base navale de Tipton County .
Steve Cropper
Pendant six mois , ils jouèrent de trois à six soirs par semaine et d'après Steve Cropper et donald " Duck " Dunn , c'est là qu'ils firent leurs dents et apprirent à jouer en public . Jerry Lee " Smoochy " Smith était au piano ; Ronnie Stoots , par ailleurs connu sous le nom de Ronnie Angel et futur concepteur de bon nombre des pochettes plutôt dépouillées des disques Stax Records , les rejoignait au chant ; Packy , Wayne Jackson et Don Nix constituaient la section de cuivres ; et bien entendu , le noyau originel du groupe ( Charlie Freeman et Steve Cropper aux guitares , Donald " Duck " Dunn à la basse et Terry Johnson , le seul à être encore au lycée , à la batterie ) demeurait inchangé . Très souvent le groupe tout entier devait tenir les 40 minutes du trajet dans la Chevrolet verte modèle 49 de Steve Cropper . Ils portaient tous des vestes brodées d'as de pique en feutre noir ; Don Nix arborait habituellement un turban semblable à celui de Chuck Willis , star du Rhythm 'n' Blues ; et ils s'entraînaient inlassablement à reproduire ces mouvements coordonnés et ces pas de danse précis effectués à l'unisson par la section de cuivre qui les faisaient encore plus ressembler aux orchestres qu'ils admiraient à la Plantation Inn . L'automne venu , Steve Cropper entra à la faculté d'Etat de Memphis : il suivait des cours de 08 heures à 15 heures , travaillait dans une épicerie de 16 heures à 21 heures , et se précipitait ensuite rejoindre le groupe à Millington pour la seconde partie du concert . Apparemment , il en allait de même pour pour tout le monde , à un degré ou un autre : Donald " Duck " Dunn , déjà marié , travaillait pour son frère chez King Records ; Packy tenait la boutique de disques de sa mère ( quand il arrivait à se lever le matin ) ; Charlie Freeman passait son temps à travailler ses gammes et à se saouler . Ils mangèrent de la vache enragée , mais ils s'amusèrent aussi . Des groupes comme les Royal Spades , il devait bien y en avoir une demi-douzaine dans chaque de ville de taille à peu près décente et dans chaque zone rurale du Sud : des gamins à la poursuite d'une sorte de transcendance , en partie en se procurant des sensations fortes , en partie en essayant de repousser leurs limites , mais la plupart du temps à la recherche d'une sorte de béatitude qu'ils n'arrivaient pas à nommer , d'un futur dont ils ne parvenaient pas à se faire une idée claire mais qui était différent de tout ce qu'il connaissaient . Peut-être Packy et Charlie Freeman étaient-ils plus conscients que les autres de leurs aspirations profondes , mais pour Donald " Duck " Dunn , garçon accommodant au visage poupin encadré de cheveux roux et bouclés , le paradis aurait été de devenir le meilleur bassiste de Memphis et de jouer avec Ben Branch ( ce dernier était un chef d'orchestre très en vue à la Plantation Inn , avec qui Donald " Duck " Dunn finirait par jouer en l'une des rares occasions de mélange racial à Memphis , sous un kiosque à musique ) . Steve Cropper , bien plus réservé et toujours décrit comme le plus réticent du groupe quand il s'agissait de questions de race , se rappelle comme si c'était hier du jour il a vu les 5 Royales jouer " live " , et raconte cette soirèe-là avec une passion qui dément sa réputation : " Lowman Pauling , guitariste et leader du groupe , était mon ultime source d'inspiration . Ecoutez-moi jouer , puis écoutez-le jouer . Vous verrez que beaucoup de mes phrasés et de mes riffs viennent de lui " . " On est restés après le concert , raconte Donald " Duck " Dunn , et Steve Cropper l'a pratiquement obligé à nous montrer comment jouer tous les trucs Jazzys qu'il savait faire " . Ce fut comme s'ils étaient allés trop loing pour pouvoir faire marche arrière , et , bien que Packy et Charlie Freeman n'en retirèrent pas la même gloire que le reste du groupe , " Last Night " permit aux anciens Royal Spades ( devenus alors les Mar-Keys parce que les yeux d'Estelle Axton , à laquelle on avait demandé de réfléchir à un nom plus adapté pour le groupe , étaient tombés sur l'auvent ( en Anglais : Marquee ) de sa salle de spectacle et qu'elle avait trouvé que ce mot " sonnait bien " mais qu'il fallait changer son orthographe pour que " ça ait un certain rapport avec la musique ) de réaliser ce dont tous les groupes blancs amateurs au monde , y compris les Rolling Stones , avaient toujours rêvé : un authentique hit Rhythm 'n' Blues . L'histoire de " Last Night " ne fut rien moins qu'agitée , et le récit que fait Estelle Axton de l'évolution de ce titre nous instruit aussi sur la dynamique du développement de la compagnie . La chanson , à l'origine un simple riff travaillé en studio , fut probablement enregistrée sur une période de plus de six mois , ce qui explique que le débat soit toujours ouvert au sujet des musiciens réellement présents sur le disque . Donald " Duck " Dunn , par exemple , est persuadé de ne pas avoir participé à la séance retenue pour le master , bien qu'ayant joué sur la version immédiatemment précédente , parce qu'il était rentré chez lui s'astreindre aux corvées ménagères qui l'attendaient . Il fut remplacé par Bob McGee , également bassiste sur " Gee Whiz " et plusieurs des disques précédents . Charlie Freeman avait déjà plus ou moins quitté le groupe pour des cieux plus cléments . Le batteur n'était pas Terry Johnson , encore lycéen , mais Curtis Green , de la Plantation Inn . En fait , les seuls Royal Spades à avoir participé à l'ensemble de l'enregistrement sont le claviériste Smoochy Smith ( Steve Cropper se souvient avoir ajouté un accord ou deux de piano ou d'orgue , bref de l'instrument dont Smoochy Smith ne jouait pas à ce moment-là ) et Packy Axton , relégué au second plan dans une section de cuivres all-stars où l'on comptait le vétéran noir du saxophone ténor Gilbert Caple , qui prit le solo , et le saxophoniste baryton noir Floyd Newman , dont les accents suggestifs ajoutent un pouvoir comique à la répétition de l'accroche vocale ( Ohh , last night...) . Tout ce joli monde était plus ou moins dirigé par Chips Moman , alors certainement le seul à savoir ce qu'il faisait exactement dans le studio . Parvenir à enregistrer une prise acceptable et définitive demanda des mois entiers d'expérimentations , de temps perdu et de travail éreintant . Ce qui arriva ensuite est cependant symptomatique de toute l'histoire de Stax Records . Estelle Axton eut finalement la possibilité de quitter son poste à la banque au printemps 1961 , un peu moins d'un an après le premier hit de son label . Elle aime raconter : " Jerry Wexler nous avait rejoints pour travailler sur l'album " Gee Whiz " de Carla Thomas . Les séances d'enregistrement avaient lieu en partie au studio Satellite Records et en partie à Nashville , car ils étaient bien mieux équipés là-bas . La bande de " Last Night " existait déjà à ce moment-là , et on a fait une copie . Comme j'avais un magasin de disques et que notre musique commençait à percer sur le marché Rhythm 'n' Blues , j'étais devenue très proche de radios comme WLOC et WDIA , et je discutais souvent avec leurs disc-jockeys . Quand le directeur des programmes de LOK a entendu cet instrumental , il m'a dit " Ce disque sera un hit , laissez-moi en prendre une copie et attendons de voir comment le public va réagir " . Très sur de lui , il l'a emporté , et dès le premier jour où il l'a passé sur les ondes , les gens ont commencé à s'arrêter au magasin pour demander ce titre .
The Mar-Keys
Quelques Stax Records # 4 : 15'20
Alors j'ai annoncé à Jerry Wexler : " Nous avons enregistré un nouvel instrumental , et les radios nous disent que ce sera un hit " et je lui ai fait écouter . En fait Jim n'était pas très chaud au sujet de cet instrumental ( il préférait s'impliquer à fond auprès de Carla Thomas et des autres artistes vocaux . Mais comme mon fils était sur le disque , je me suis donnée à fond . Et je savais aussi que c'était un hit en puissance . Jerry Wexler a cherché à gagner du temps . Il disait " Eh bien , c'est parfait tout ça , mais il faudrait rajouter un peu plus de cuivres , et plein de trucs du même genre " . En moi , de mon côté , je faisais le forcing pour sortir ce disque . J'en ai eu vite ras le bol de ne pouvoir fournir les gens qui venaient le demander au magasin , parce que je savais qu'on avait besoin d'argent , et qu'on tenait là un produit qui allait se vendre . Le magasin ne fermait pas avant 21 heures , et un soir où tout le monde était réuni , Chips Moman et mon frère attendant devant la boutique de pouvoir s'en aller et mon mari , à peine rentré de son travail chez Kimberly Paper Products , attendant de pouvoir rentrer chez lui , j'ai dit : " Non , je ne sors pas d'ici ce soir tant que nous ne choisissons pas entre retirer cette copie des ondes et sortir ce disque " . Ils se sont mis à tergiverser , et , vous savez , j'avais commencé à leur demander ça gentiment , mais bientôt je me suis mise à pleurer pour obtenir leur approbation , et comme ça ne marchait pas , je me suis finalement mise à jurer . Je crois bien que mon frère ne m'avait jamais entendu jurer auparavent , et comme ça l'a vraiment estomaqué , il a finalement accepté . " D'accord , Packy Passera demain Matin à la boutique pour prendre la bande et la porter chez le fabriquant " . " Vous pouvez imaginer ce que je ressentais . Je n'en pouvais plus d'impatience . Et quand je suis arrivée au studio le lendemain matin et que Packy est passé pour prendre la bande , on s'est rendu compte en l'écoutant que près de 16 mesures avaient été effacées au début de la chanson . Incroyable , non ? Mon fils a commencé à paniquer , il me demandait ce que l'on va bien pouvoir faire ? Et j'ai répondu que l'on ne va pas se laisser arrêter pour si peu . Ils avaient mis tellement de temps à enregistrer ce titre qu'il doit bien y avoir une autre version à peu près dans le même tempo . Nous allons la coller par dessus . Aujourd'hui encore je peux dire exactement à quel moment du disque nous avons réalisé ce collage . Quoi qu'il en soit , quand on a sorti le disque , les ventes ont explosé et personne n'avait jamais vu quoi que ce soit de comparable . Je ne mens pas , j'en ai vendu personnellement deux mille derrière mon comptoir . Il fut finalement certifié disque d'or ( un disque d'or certifié par la RIAA ( Recording Industry Association Of America ) représentait jusqu'en 1989 un million de singles ou 500.000 albums vendus . Depuis 1989 , il représente 500.000 exemplaires vendus , tous supports confondus . ) , et atteignit la deuxième place des charts nationaux , Pop et Rhythm 'n' Blues . J'étais fière comme tout . Je n'ai jamais été , de ma vie entière , aussi fière d'un disque " . Tous n'ont pas des souvenirs aussi spectaculaires que ceux d'Estelle Axton . Jim Stewart prétend ne pas se rappeler d'un quelconque problème d'effacement de la bande , Chips Moman se souvient seulement d'une opération de collage de routine . Quoi qu'il en soit , le résultat était là .
Stax Records
Voilà qu'en plein milieu de la carrière commerciale de " Last Night " ( à l'Eté 1961 ) , une entreprise californienne appelle Satellite Records pour leur dire qu'elle compte les poursuivre devant les tribunaux car il se trouve que leur label a le même nom mais qu'ils étaient là avant eux . Eh bien , comme Satellite Records avait le projet de créer une filiale , ils décidèrent d'abandonner Satellite Records et de le remplacer par Stax Records ( ST pour Stewart et AX pour Axton ) . C'est ainsi que " Last Night " a été exploité à moitiè sur Satellite Records et à moitiè sur Stax Records ( Satellite Records 107 / Stax Records 107 [ US ] ) . A partir de ce moment , ils se sont mis à construire Stax Records . Ce fut le premier succès national dont un Stax Records ressucité put assurer le suivi et la promotion . Il n'y avait besoin pour cela que de former un groupe qu'on appellerait les Mar-Keys , et de toute évidence les Royal Spades faisaient l'affaire . Ils partirent aussitôt en tournée , à neuf dans la Chevrolet Greenbrier traction arrière quatre cylindres . Carla Thomas était également tant bien que mal du voyage , puisque c'était les vacances d'été , chaperonnée par une Miz Axton quelque peu nerveuse . Carla Thomas et Miz Axton quittèrent la tournée après le passage du groupe au " Dick Clark Show " . Peu de temps après , Steve Cropper quitta la faculté et Donald " Duck " Dunn son travail . Ils se retrouvaient embarqués dans une aventure dont ils n'auraient même pas osé rêver . Toutefois en Juillet 1961 Satellite Records sort le single de Prince Conley " I'm Going Home " un sublime Rhythm 'n' Blues terriblement Groovy ( Satellite Records 108 [ US ] ) juste avant le litige avec l'autre label californien et sortira un dernier single en Octobre 1961 pour Barbara Stephens " The Life I Live " ( Satellite Records 111 / Stax Records 113 [ US ] ) , alors que paraît le deuxième single de Stax Records en Septembre 1961 des Mar-Keys " Morning After " ( Stax Records 112 [ US ] ) .
En Novembre 1961 Stax Records crée un second label : Volt Records qui commence par l'édition du single des Triumphs " Burnt Biscuits " ( Volt Records 100 [ US ] ) . Lors d'une tournée à Bossier City , en Louisiane l'orage éclate lorsque Steve Cropper quitta le groupe , la tension accumulée entre lui et Packy étant trop forte . Packy répétait sans cesse que sa mère possédant la compagnie il serait normal qu'il devienne le leader du groupe et Steve de lui répondre que c'était lui le fondateur du groupe , que c'était lui qui l'avait engagé et que ce n'était pas lui qui l'avait engagé . Ne se sentant pas soutenu par les autres membres du groupe , Steve Cropper les quitte dès le lendemain et en rentrant en ville il est allé travailler au magasin de disques . C'est ainsi que s'établit le hiérarchie fonctionnelle de Stax Records . Chips Moman et Jim Stewart s'occupaient des enregistrements , tandis que Steve Cropper tenait la boutique de disques pour le compte d'Estelle Axton et passait autant de temps que possible dans le studio pour découvrir par lui-même comment se faisait un disque . Le groupe était pour l'heure sur la route ( ils passaient en ville deux ou trois fois par mois pour se reposer ou enregistrer une partie de cuivres ) . Quand aux musiciens noirs qui avaient inspiré les débuts des Royal Spades et qui jouaient de fait sur leur hit " Last Night " , ils continuaient de se produire dans des clubs locaux et de travailler en studio . A bien des égards , ils étaient laissés pour compte . Beaucoup d'entre eux sont aujourd'hui , de façon compréhensible , amers . Stax Records allait cependant offrir à certains de ces musiciens noirs des opportunités réelles .
Booker T. Jones
Booker T. Jones , qui venait d'entrer en terminale , passait de plus en plus de temps en studio et restait même parfois après la fermeture , jouer avec le groupe de Chips Moman . David Porter avait d'ores et déjà été engagé comme artiste et songwriter à temps complet : il devenait le premier employé noir de Stax Records et gagnait la somme mirifique de 50 Dollars par semaine .
Chips Moman
C'est en Novembre 1961 que Chips Moman emmena au studio un autre de ses amis , William Bell , ancien chanteur des Del Rios , groupe qui s'était produit à la Plantation Inn . William Bell qui revenait d'une tournée avec Phineas Newborn Sr. ( figure légendaire de la scène musicale de Memphis , celui-ci avait non seulement dirigé un des plus éminents orchestres de Jazz de la ville , mais fut également le père du pianiste de Jazz Phineas Jr. et du guitariste Calvin Newborn ) , entra en studio avec une chanson inédite : un Blues teinté de Gospel interprété sur un rythme de Valse .
" You Don't Miss Your Water "
William Bell avait plusieurs points communs avec la plupart de ses camarades artistes Stax Records . Tout d'abord , il était issu de la classe moyenne : ses parents étaient horrifiés à l'idée de le voir embrasser la carrière musicale , et William lui-même avait eu comme premier souhait de devenir médecin . Comme la quasi-totalité des gens chez Stax Records ( comme beaucoup des autres musiciens noirs , tout du moins ) William Bell ( de son vrai nom William Yarborough , il avait adopté comme nom d'artiste celui de sa grand-mère ) avait fréquenté les bancs de la faculté durant au moins un semestre . Rufus Thomas lui-même , plus vieux d'une génération que le reste de ses camarades de label , avait passé un certain temps à la faculté de Tennessee A & I . Plus tard , les brochures publicitaires de Stax Records dresseront toujours le portrait d'un William Bell lecteur insatiable , remarquable fumeur de pipe , modèle de bienséance , et cultivant une image d'intellectuel parfois en porte-à-faux avec la quête du succès populaire . Comme nombre de ses collègues , il possédait dèjà , à vingt-deux ans , une imposante expérience de musicien professionnel . Son groupe , les Del Rios , avait gagné le second prix du concours annuel Mid-South Talent Contest en 1956 , alors qu'il était encore au lycée ( on ne lui prêtait à l'époque que quatorze ans , alors qu'il approchait de dix-sept ans ) . Le prix décerné en récompense était un voyage d'une semaine à Chicago , où le groupe se produisit au Club DeLisa accompagné par les Red Saunders , et un contrat pour enregistrer un unique disque sur le label Meteor Records de Memphis . Ils enregistrèrent un démarquage des Midnighters , " Alone On A Rainy Night " , accompagnés par les Bearcats , le groupe de Rufus Thomas . En attendant la fin de leur scolarité , les Del Rios se produisirent à la Plantation Inn puis au Flamingo Room de Clifford Miller ( où l'on raconte qu'Elvis Presley venait traîner à l'occasion ) , invités par l'orchestre de Phineas Newborn . Ils enregistrèrent sans doute pour Satellite Records quelques titres qui ne furent jamais publiés , mais bientôt plusieurs membres du groupe furent appelés sous les drapeaux , et après un trimestre passé à la faculté , William Bell eut l'opportunité de partir en tournée dans les hôtels-clubs New-Yorkais et les clubs de Long Island avec Phineas Newborn . Il sentit que cette chance ne se représenterait pas et laissa tomber la fac avec l'idée de reprendre les cours au semestre suivant . L'orchestre de Newborn s'attarda plus d'un an à New York , et William Bell ne regagna finalement Memphis que pour accomplir à son tour son service militaire . A son retour de l'armée , il compléta son éducation musicale chez Stax Records . Il en profite pour faire écouter une chanson qu'il avait écrite quand il était à New York que Jim Stewart aima bien . Au départ ils enregitrèrent une démo , mais ils l'ont tellement aimée qu'ils proposèrent à William Bell de la finaliser . Sur le disque , il n'y a , qu'une section rythmique , basse , batterie , et orgue , à laquelle vient s'ajouter la section de cuivres . Cette chanson , " You Don't Miss Your Water [ Till Your Well Runs Dry ] " fixa une fois pour toute la ligne musicale de Stax Records . Le duo Rufus et Carla Thomas avait été avant tout un coup de chance invraisemblable ; " Gee Whiz " avait été , comme le dit Carla Thomas , une chanson magique dont la formule musicale et l'innocence triomphante étaient impossibles à reproduire ; " Last Night " n'était pas beaucoup plus qu'un instrumental qui bénéficia de son aspect innovateur ; ce fut le disque de William Bell qui fixa le schéma des futurs succès Stax Records . Pleine de clarté et de retenue , mais aussi d'un indéniable feeling Gospel et d'un mélange de majesté et de sens mélodique , " You Don't Miss Your Water " , comme le plupart des hits qu'interprétera William Bell ou qu'il écrira pour d'autres artistes ( " Share What You Got " , " Everybody Loves A Winner " , " Every Day Will Be Like A Holiday " , " Born Under A Bad Sign " ) utilise dans son titre un dicton populaire familier à tous et brode autour de son thème avec assez de simplicité et d'art pour lui conférer une tranquille éloquence . L'écriture se rapproche de celle du héros de William Bell , Sam Cooke , tandis que la voix , sans cracher les 100.000 volts de celles de Solomon Burke ou de Wilson Pickett , et sans vous arracher l'âme à force de larmes comme celle d'Otis Redding , convient parfaitement à l'élégance discrète du message de la chanson et complète , en se jouant des contraintes , sa technique de composition .
William Bell
Quelques Stax Records # 5 : 13'14
William Bell devint la première vraie star solo de Stax Records . Le tour que prenaient les événements pouvait paraître surprenant au vu de la désarmante modestie et de la tendance sincère à l'autodépréciation dont William Bell faisait preuve . Au moment où son disque accéda au sommet des hit-parades ( il avait déjà eu un impact régional dans le Sud et atteint le top 100 Pop au printemps 1962 ) , William Bell était déjà reparti sur la route avec l'orchestre de Phineas Newborn . Un an plus tard , quand il fut enfin appelé sous les drapeaux , il avait donné près de trois cents concerts dans tous les Etats-Unis , avait participé aux concerts collectifs d'Henry Wynn qui avaient pour têtes d'affiche Solomon Burke , James Brown ou Jerry Butler , et ce faisant acquis un vernis professionnel et une éducation musicale auxquels personne d'autre chez Stax Records ne pouvait prétendre . Il savait désormais prendre les performances " live " avec le recul nécessaire , et la célébrité et la gloire avec une philosophie qui lui permettra de traverser relativement indemme les vicissitudes d'une vie entière passée dans le business du spectacle . Ce fut probablement cette même philosophie qui lui permit des années plus tard de se lancer dans des entreprises aussi inattendues que de reprendre le rôle de Stanley Kowalski dans " un tramway nommé désir " sur scène à Atlanta , de créer son propre label et sa propre entreprise de production ( qui , comme le label SAR Records de Sam Cooke , révéla des artistes prometteurs et leur offrit un cadre approprié au développement de leurs carrières , tout en servant à l'occasion de débouché pour les propres oeuvres de William Bell ) , et d'accepter , le temps d'un mandat , la vice-présidence de la branche d'Atlanta de le NARAS ( National Academy of Recording Arts and Sciences , l'académie nationale des arts et sciences de l'enregistrement ) . Lorsque William Bell fut finalement appelé sous les drappeaux au printemps 1963 , on le fit s'entraîner au combat dans la jungle et il resta deux ans en garnison a Hawaï . Quand il fut libéré de ses obligations militaires , Stax Records était devenue une entreprise florissante , et après avoir pris le temps d'étudier le nouveau marché , il reprit bientôt sa carrière au point où il l'avait laissée . Il avait cependant perdu la place très particulière qu'il occupait auparavant chez Stax Records , supplanté par le plus charismatique Otis Redding . Il demeura une figure clef de l'entreprise , tant comme auteur qu'interprète , et il flirta même brièvement avec la gloire à part entière grâce au million d'exemplaires de " Trying To Love Two " vendu en 1977 par Mercury Records , après l'effondrement de Stax Records . Tout le monde fut heureux pour lui quand ce succès lui tomba dessus ; tous ceux qui l'on connu à l'époque de Stax Records parlent de lui comme d'un " Gentleman " et n'ont de cesse de le louer . Estelle Axton fut fière de lui quand il a décoché ce hit énorme ( c'était comme s'il était encore chez Stax Records ) .
" Green Onions "
Au fil des succès remportés par les " stars " Stax ( Carla avec ou sans Rufus Thomas , et à présent William Bell ) , le son caractéristique du label fut développé à proprement parler par un groupe de studio aux contours mal définis , formé pour assurer l'accompagnement des artistes solos . Pendant que les Mar-Keys poursuivaient leur tournée sous la direction nominale de Packy Axton ( devant à leur incapacité à produire un hit capable de succèder à " Last Night " , Packy Axton quitta finalement le groupe , laissant à Charlie Freeman , qui avait remplacé Steve Cropper après l'épisode de Bossier City , le nom du groupe et quelques concerts déjà organisés ) , les événements se précépitaient en studio , consolidant la nouvelle équipe et rendant bientôt obsolète le rôle , déjà limité , joué par les Mar-Keys . La composition de la section de cuivres était encore fluctuante : le trompettiste Wayne Jackson et le saxophoniste ténor Andrew Love y faisaient des apparitions de plus en plus fréquentes ; ils finiront par concrétiser leur partenariat musical en créant les Memphis Horns . La section rythmique , toutefois , trouva rapidement ses marques . Booker T. Jones , présent depuis à peu près le début de l'aventure se chargeait des claviers ( et parfois du saxophone baryton , du trombone ou de la basse ) sur la plupart des premières sessions ; il joua de l'orgue sur la quasi-totalité des hits de William Bell . Jim Stewart autant qu'Estelle Axton , dépendait de plus en plus de Steve Cropper ( Steve était devenu le bras droit de Jim ) . Il venait au studio , surveillait la boutique et était toujours là pour faire tourner le business ; il était discipliné et responsable . Steve Cropper était l'homme-clef de Stax Records . Sa guitare rythmique , sèche et mordante , était de plus présente sur presque tous les disques du label . Le fameux bassiste noir Lewis Steinberg assurait la plupart des parties de basse , assisté de Donald " Duck " Dunn ( rentré de tournée depuis que les Mar-Keys ne trouvaient plus d'engagements ) , qui le remplaçait occasionnellement lorsqu'il ne pouvait se rendre en studio . Et Al Jackson , qui avait joué avec Booker T. Jones au Flamingo Room avec l'orchestre de Willie Mitchell , fut invité par celui-ci à jouer de la batterie le temps d'une séance , et ne quitta plus jamais le studio . Packy Axton n'avait plus sa place dans cette nouvelle organisation rationalisée . Selon Jim Stewart et son sens caractéristique de la litote , Packy Axton n'était pas très fort pour tout ce qui touchait à l'organisation . Il pouvait venir tous les jours une semaine , et disparaître complètement la semaine suivante . L'avis de Steve Cropper est plus abrupt : " Packy était un play-boy . Le fiston à sa mémère . Ce n'était pas un tire au flanc , mais il avait le droit de faire ce que bon lui semblait " . La section rythmique , trois Noirs et un Blanc , constituait le noyau dur du son Stax . Un Dimanche après-midi de l'été 1962 , ce groupe était en studio pour enregistrer un jingle . La séance leur avait été proposé par Dale Bowman , et Billy Lee Rilet , le chanteur de Rockabilly de la grande période de Sun Records , censé assurer la partie vocale , ne se présenta jamais au studio . Le groupe se mit alors à bidouiller un peu tout et n'importe quoi , à jouer sans se poser de question . Ils commencèrent par jouer quelques Blues , c'était seulement une jam session impromptue .
Personne ne les enregistrait mais Jim Stewart a aimé le Blues qu'ils jouaient et a lancé une bande . Jim Stewart vraiment enthousiasmé leur demande alors s'ils ne peuvent pas faire un petit quelque chose pour mettre en face B . C'est alors qu'ils jouèrent " Green Onions " . C'était une idée de Steve Cropper que Jim Stewart a retravaillée un peu , et qu'ils enregistrèrent immédiatement . Estelle raconte la suite des événements : " Ils ont joué un Blues sans prétention " . Je leur ai dit : " A l'entendre , on dirait quelqu'un qui fait n'importe quoi " , et quelqu'un a lancé : " Soyez sages ! " ( Beware Yourself ) Jim , de son côté , était tellement impressionné par ce titre Blues qu'il était monté me trouver alors que j'étais ce jour-là dans le magasin en train de travailler sur les livres de comptes , pour me dire : " Viens Vite , je veux que tu écoutes ça ! Ces garçons ont pondu un instrumental qui va te mettre K.O. ! " . J'étais d'accord avec lui : le morceau était fantastique . Dès qu'ils eurent fini de jouer , tout le monde s'est écrié : " Eh bien , on dirait que les deux faces de ce disque se valent ! " Ils enregistrèrent ce single en une heure ( l'heure prévue pour le jingle publicitaire ) . Nous avons lancé le disque et commencé à faire la promotion de " Beware Yourself " , la face Blues , mais les disc-jokeys ne s'intéressèrent qu'à l'autre face et " Green Onions " se vendit à un million d'exemplaires . C'est parfois aussi simple que cela " . Tout le monde s'accorde à peu près sur cette version des faits . Il est plus dificile par contre de tomber d'accord sur le nom donné au groupe lors de l'enregistrement . Une fois Stax Records connue de tous et une fois l'expression " le son de Memphis " ( Memphis Sound ) couramment utilisée pour désigner le label , toutes les publicités de la compagnie prétendirent que les initiales dans l'appellation " Booker T. & The MG's " signifiaient Memphis Group ( le groupe de Memphis ) . D'après Booker T. Jones , c'est Al Jackson , un peu plus vieux que les autres garçons et qui était une sorte de grand frère pour Booker T. Jones , qui a trouvé ce nom pour le groupe en référence au plus jeune de ses membres . Mais Chips Moman , absent lors de la séance où fut enregistré " Green Onions " mais qui participait à la quasi-totalité des sessions Stax Records à cette époque , s'obstine à dire que si les MG's s'appellaient les MG's , c'était à cause de sa voiture de sport , en l'occurrence une Triumph . De fait , il avait appelé les " Triumphs " une version antérieure du groupe formé en studio , dans laquelle il jouait aux côtés de Booker T. Jones , et , selon lui , c'est après son départ de la compagnie que les autres musiciens ont commencé à donner d'autres explications . Chips Moman quitta brusquement Stax Records peu après le succès de " Green Onions " pour une histoire d'argent entre Jim Stewart , Estelle Axton et lui . Peu après , Chips Moman loua les services de Seymour Rosenberg , avocat omniprésent dans le milieu musical de Memphis qui représentait également Stax Records à l'occasion , et obtint une compensation de 3.000 Dollars , qu'il utilisa pour créer l'American Studio en partenariat avec Seymour Rosenberg , studio d'où sortirent par la suite quelques-uns des plus grands hits de Memphis à la fin des années 60 . Pendant ce temps , Stax Records ne s'affaiblissait pas ; la compagnie était même plus puissante que jamais . Steve Cropper prit sans sourciller la place de Chips Moman dans le studio . Jim Stewart , qui assurait de plus en plus souvent la partie technique des enregistrements , pensait sérieusement à quitter son poste à la banque et démissionne donc en 1964 . Booker T. Jones & The MG's étaient à présent confortablement installés dans le double fauteuil de groupe d'accompagnement en studio et de stars du disque ( la section de cuivres issue des disques des Mar-Keys avait ouvert une brèche par laquelle s'engouffraient des vagues toujours renouvelées de musiciens venant rejoindre le groupe en studio ) . L'ancien Royal Spades Donald " Duck " Dunn ayant été remplacé au poste de bassiste courant 1964 , le groupe traversa sans autres modifications de personnel cinq années de gloire et de créativité constante . Le " son Stax " était en place , carré , dépouillé , sans fioritures , convainquant et enregistré par des professionnels . Le " son Stax " est né en 1962 , cette date marqua le début d'un flux continu de productions et l'affirmation d'une certaine idée du musicien de studio . La musique était leur dénominateur commun , et tout ce qu'ils ont appris les uns sur les autres en tant qu'êtres humains , ils l'ont appris à travers elle .
Otis Redding
Cette même année , Otis Redding pénétrait pour la première fois dans le studio de Stax Records . Comme ce fut le cas pour à peu prés tous les événements qui ont jalonné l'histoire du label , personne n'avait prévu ni pressenti l'arrivée d'Otis Redding . S'il se retrouva un beau jour dans le studio Stax Records , il n'était alors que celui qui avait conduit de Macon à Memphis le guitariste Johnny Jenkins , un de de ses amis et membre comme lui des Pinetoppers , groupe de Macon dans lequel Otis Redding chantait à l'occasion . Johnny Jenkins venait de connaître un succès régional avec " Love Twist " , un morceau instrumental sorti tout d'abord sur un label local , puis remarqué par Joe Galkin et finalement cédé à Atlantic Records qui en assurait désormais la distribution ( Jerry Wexler prétend qu'il ne voulait pas voir Joe Galkin perdre de l'argent dans l'affaire ) . Grâce au succès de ce single , Joe Galkin était entré en contact non seulement avec Johnny Jenkins mais aussi avec son manager , Phil Walden , 22 ans , frais émoulu de la Mercer University de Macon . Il remua ciel et terre pour obtenir une nouvelle séance d'enregistrement et s'arrangea pour qu'elle ait lieu chez Stax Records . La légende veut qu'Otis Redding n'ait été là que pour aider Johnny Jenkins au cours de son voyage , et qu'il lui servait en temps normal de chauffeur et de valet de chambre ( mais le groupe était en fait autant le sien que celui de Johnny Jenkins , et il avait déjà sorti lui-même quelques disques sur un autre label local , Confederate Records , créé par Bobby Smith , et , sous le nom d'Otis & The Shooters , sur un label californien , Finer Arts Records ) . La légende veut également que ce soit Joe Galkin qui ait remarqué les talents d'Otis Redding et qui se soit proposé de lui offrir le devant de la scène ( Jim Stewart en est fermement convaincu ) , mais Joe Galkin a plus tard confié à l'écrivain britannique Charlie Gillett que seul Phil Walden avait insisté pour qu'Otis Redding accompagne Johnny Jenkins sur scène et en studio . Chez Stax Records on trouvé qu'Otis Redding était un chanteur exécrable ( il venait de sortir un disque à Athens , Géorgie , intitulé " Shout Bamalama " , et ils n'avaient jamais rien entendu d'aussi mauvais . John R. le passait sur WLAC , mais personne n'en a acheté un seul exemplaire . Phil Walden était cependant absent lors de la séance d'enregistrement chez Stax Records , qui se révéla désastreuse , et ce fut Joe Galkin qui , faisant fi de toutes ses incertitudes , insista pour qu'on donne une chance au chanteur . Au bout d'à peu près deux heures et demi , selon Joe Galkin , Jim Stewart lui dit qu'il ne pouvait pas faire de disque avec ce groupe . Joe Galkin décide de ne pas perdre la demi-heure de studio qui lui restait et lui répond : " OK , mais alors , essayons de tirer quelque chose de ce type " . Steve Cropper et Al Jackson étaient sur le point de s'en aller , et Jim Stewart et Joe Galkin argumentaient sans fin . Jim Stewart lui demande ce que Joe Galkin lui donnerait dans cette affaire ? Et celui-ci lui répond : " 50 % des droits de publication " . Booker T. Jones était déjà parti , mais Lewis Steinberg étaient encore là , et Steve Cropper joua donc du piano , Johnny Jenkins de la guitare , Al Jackson de la batterie et Lewis Stenberg du clavier .
Al Jackson
Quelques Stax Records # 6 : 25'47
En ne se posant pas de question , et sans perdre de temps , Otis Redding a pris le micro pour se lancer dans un truc du genre " Hey Hey Baby " , un truc à la Little Richard . Et ils enregistèrent une ballade qu'Otis Redding avait écrite " These Arms Of Mine " , et trop fatigué , plus en état de travailler , ils se sont contentés de sortir le disque au niveau local , en essayant plusieurs marchés différents . Jim Stewart abandonne sa part des droits de publication à John Richbourg ( le John R. de la radio WLAC à Nashville ) et il l'a joué en boucle toutes les nuits , sans éxagération , pendant six mois , avant de laisser tomber . En six mois , les ventes n'avaient toujours pas décollé . Le disque restait cantonné dans le marché Rhythm 'n' Blues , et ils ne pouvaient rien y faire car ce n'était qu'un disque noir aux sonorités Country , et qu'à Chicago , par exemple , ce son était passé de mode . Si tous ceux qui prétendent avoir assisté ce jour-là à cette séance capitale dans le studio Stax Records disaient vrai , le studio aurait été rempli à craquer . Ils n'étaient probablement en réalité qu'une poignée , et la plupart ne gardèrent pas de la séance des souvenirs bien plus marquants que ceux de Jim Stewart . Mais l'histoire ultérieurs d'Otis Redding a visiblement bouleversé les mémoires . A cette époque , Otis Redding imitait principalement Little Richard et admirait par-dessus tout Sam Cooke . La seconde face , une ballade , témoignait déjà cependant des évidentes hésitations de sa voix , de la sinérité forcée qui était déjà son signe distinctif . Jim Stewart pensa d'abord que c'était une manifestation de nervosité . " La voix d'Otis Redding était hésitante , il ne la contrôlait pas très bien , et il était difficile de savoir s'il était simplement nerveux ou si ça faisait partie de sa personnalité . Je l'ai déjà dit , ce jour-là , en studio , il était parfaitement transparent . Parce que très timide , au début . Plus tard , quand il prit de l'assurance , il devint quelqu'un de totalement différent " . " C'était quelqu'un de très humble , poursuit Estelle Axton , qui travaillait alors dans le magasin de disques mais qui a probablement perçu des bribes de la session . Je pense qu'il ne soupçonnait même pas qu'on puisse s'intéresser à lui , mais comme je l'ai dit , on s'intéressait surtout aux gens qui possédaient quelque chose que les autres n'avaient pas ( et il était effectivement différent de tous les artistes qui travaillaient avec nous ) " . Les Souvenirs que Donald " Duck " Dunn , ( que l'on a parfois crédité de la partie de basse lors de cette séssion et qui joua sur à peu près tous les autres disques d'Otis Redding ) a gardés de cette journée sont encore très vivaces . " J'étais en train d'essayer de me tirer de là pour aller travailler . Je dirigeais un groupe qui jouait au Hernando's Hideaway , et si l'on ne m'avait pas retenu avec des formules du type " Si tu ne restes pas jusqu'au bout , ce n'est pas la peine de revenir ici demain " , je serais parti illico . Otis Redding était en salopette , et je me suis dit : " Ce type sonne comme Little Richard . Qui veut d'un autre Little Richard ? " . " Ce petit mec a chanté une ou deux lignes , raconte de son côté Steve Cropper , et on s'est tous transformés face à lui en loup de Tex Avery , les yeux nous sortaient de la tête ! Nom de Dieu , ce type était incroyable " . Booker T. Jones parle avec des rêves dans la voix du mythe qu'Otis Redding allait bientot devenir : " C'était un type de la trempe de Leonard Bernstein . Le même genre de personne . Un leader . Il te dirigeait de ses bras , du bout de ses doigts , de tout son corps " . Booker T. Jones n'était pas en studio lorsque ces titres d'Otis Redding furent enregistrés , mais il se rappelle l'impact d'Otis , et l'impact de cette séssion , aussi clairement que s'il avait été présent . " Cet endroit avait un esprit et une âme bien à lui . C'était comme si la musique ( ou l'esprit de la musique ) habitait l'espace . Il lui suffisait pour cela de chanter . Je suis sur qu'on a dû beaucoup débattre autour des notes de pochette , pour savoir qui faisait quoi et tout ça... Mais c'était plutôt une sorte de happening , quelque chose de naturel " . Les souvenirs de William Bell , qui traînait dans le coin au moment de l'enregistrement , ont pris avec le temps les couleurs de la légende . " Otis Redding était un original . L'événement était inhabituel , tout le monde , des secrétaires jusqu'au responsable des expéditions [ ces fonctions elles-mêmes sont probablement des inventions de sa mémoire ] , s'est mis à jeter un oeil à l'intérieur du studio , juste pour savoir qui était en train de chanter ". L'objet de toute cette attention , mi-réelle mi-rétrospective , était un jeune homme bien bâti de vingt et un ans , qui arrivait de Macon , Géorgie , et que sa constitution solide faisait paraître plus agé qu'il ne l'était . Avec son arrivée , Stax Records rentrait dans une toute nouvelle phase de son développement , et même s'il ne retourna pas en studio au cours des neuf mois suivants , ce fut son succès ultérieur qui ramena Jerry Wexler à Memphis pour l'enregistrer , qui fit de Stax Records un nom incontournable dans les cercles Souls , et qui finalement ouvrit le monde de la Soul Sudiste au grand public blanc . A bien des titres , Otis Redding illustre la " philosophie Stax " , notion vague sur laquelle Jim Stewart revint bien souvent au fil des ans sans parvenir à en donner une définition satisfaisante . Une publicité annonce , sans vraiment plus de précision , que " la philosophie Stax est revendiquée par l'ensemble de l'Organisation Stax " et qu'elle est " à la base du son Stax " . Ce qui en ressort le plus clairement est un engagement personnel au travail acharné et au don de soi , doublé d'une certaine philosophie du travail d'équipe . Contrairement à Motown , qui tentait d'offrir à ses artistes un environnement parfaitement maîtrisé , Stax encourageait l'initiative personnelle dans le contexte du développement de l'entreprise , et le premier principe de Jim Stewart en matière d'organisation commerciale semble avoir été le même que , dans le monde du basket-ball , celui des Boston Celtics : s'entourer non seulement de gens de tâlent , mais aussi à la personnalité forte , de gens sur lesquels on sait pouvoir compter , d'individualités capables de s'épanouir . Il trouva toutes ces qualités réunies en Otis Redding . Car Otis Redding fut le coeur et l'âme de Stax Records .
Otis Redding
L'âge d'or de Stax Records
Ce fut le succès d'Otis Redding qui conduisit Jerry Wexler à Memphis . Au début de l'année 1965 , il signa un duo originaire de Miami qui avait déjà enregistré sans grand succès pour le label Roulette Records quelques années auparavant . Le contrat était à l'en-tête d'Atlantic Records , mais Jerry Wexler refila le duo à Stax Records , séduit par le son et les hits que le label de Memphis obtenait avec Otis Redding . Le premier enregistrement de Sam & Dave ( Sam More et Dave Prater ) pour Stax Records , une session relativement tranquille , eut lieu en Mars . En Juin , Tom Dowd , quarante ans , ingénieur en chef d'Atlantic Records depuis le création de la compagnie , l'homme qui a défini les standards industriels de l'enregistrement multiprise , assista aux séances d'Otis Redding pour l'album qui contiendra " I've Been Loving You Too Long " , afin de " mettre aux normes " la technologie de Stax Records . Jusqu'alors , le studio reposait sur l'éternel magnétophone mono Ampex qu'Estelle Axton avait acheté en hypothéquant sa maison . Jim Stewart s'était occupé de l'enregistrement de la plupart des sessions , et le son qu'il avait tiré de l'ancienne salle du cinéma Capitol transformée en studio était indéniablement unique , et appartenait en propre , sans contestation possible à Stax Records . Mais il était évident que si Atlantic Records devait utiliser Stax Records comme débouché sérieux pour les artistes de son label , le matériel devait être mis à jour et modernisé . Tom Dowd installa un enregistreur deux pistes ( bientôt remplacé par un modèle quatre pistes ) et montra à Jim Stewart comment se servir du nouvel équipement . Tout le monde reconnaît que son influence fut bénéfique . Selon William Brown , alors membre du groupe vocal The Mad Lads et qui allait bientôt devenir l'un des ingénieurs en chef de Stax Records : " Il ouvrit nos yeux sur ce qui était en train de se passer dans le monde de l'enregistrement . C'est un véritable génie de l'électronique . Il prenait du matériel moyenâgeux et le faisait fonctionner comme s'il était tout à fait moderne " . " Tom Dowd venait nous voir assez régulièrement au studio depuis 1961 " , raconte Jim Stewart . " D'habitude , être expert en électronique et créatif en studio sont deux qualités très différentes , que l'on rencontre rarement chez la même personne ; mais lui était vraiment ahurissant . Les mots me manquent pour dire tout ce qu'il nous a appris , même si je pense que lui aussi a appris des choses à notre contact , parce qu'il travaillait jusque-là d'une toute autre façon que nous " . Le fait est , Atlantic Records était réputée pour la qualité de ses enregistrements . Des DJ comme John R. sur WLAC ou Zenas Sear à Atlanta s'intéressaient à Atlantic Records tant pour le son qu'ils essayaient de produire que pour les disques qu'ils présentaient à l'antenne . En matière de clarté et d'équilibre comme de fidélité de ton , aucun autre label indépendant ne supportait la comparaison , et le mérite en revenait en grande partie à Tom Dowd . Mais cela tenait aussi à la façon dont étaient conduites les sessions . Tout était méticuleusement répété et arrangé ; la plupart du temps , Jerry Wexler et Ahmet Ertegum ( le président d'Atlantic Records ) utilisaient toujours l'équipe de musiciens de studio new-yorkais et d'arrangeurs qui avait travaillé sur leurs premiers hits . Autrement dit , Atlantic Records abordait la Soul Music , à peu de chose près , de la même manière que le Rhythm 'n' Blues depuis les premiers pas en studio de Big Joe Turner ou des Clovers : prenez un chanteur ou groupe vocal capable d'un travail vraiment sophistiqué , mettez-les en contact avec des musiciens dotés au moins d'une connaissance effective du Jazz , engagez un arrangeur expérimenté , et entraînez ensuite toute l'équipe à reproduire " des modes musicaux plus anciens et plus énergiques " que ceux auxquels ils sont habitués . C'était plus ou moins de cette façon qu'avait travaillé le groupe de Ray Charles , même s'il s'agissait dans ce cas d'une entité à part entière , sans apport extérieur , et que les idées mises en oeuvre et leur inspiration provenaient presque exclusivement de Ray Charles . C'était de cette façon qu'avaient été abordées les sessions séminales , de Solomon Burke pour Atlantic Records . Jerry Wexler découvrit à Memphis une tout autre manière de faire des disques . En venant à Memphis Jerry Wexler et Tom Dowd se retrouvèrent en face d'un Jim Stewart qui menait tout ce petit monde ( musiciens blancs et noirs ) par le bout du nez , dans un contexte racial tendu , et qui réussissait tout ce qu'il entreprenait comme par enchantement . C'est dans ce climat , " contexte racial tendu " ou non , que Jerry Wexler emmena Wilson Pickett à Memphis en mai 1965 . Celui-ci avait signé chez Atlantic Records en 1964 , après avoir fourni au label la démo d'un des plus grands succès de Solomon Burke " If You Need Me " . Les disques qu'il enregistrait depuis près d'un an à New York avec Bert Berns étaient coûteux , bénéficiaient d'une production très élaborée et étaient merveilleusement interprétés , mais ne se vendaient pas . Jimmy Evans , le manager de Wilson Pickett , téléphone à Jerry Wexler pour lui dire qu'il lui faut un disque qui marche , ou sinon il faudra le laisser partir , et comme Jerry Wexler n'avait pas envie de perdre Wilson Pickett , il eut la brillante idée de l'emmener à Memphis . D'après Wilson Pickett : " J'ai dit à Jerry Wexler que je ne voulais plus qu'on m'enregistre de cette façon . Il m'a demandé comment je désirais être enregistré , et j'ai répondu que j'avais entendu une chanson qu'Otis Redding avait faite à Memphis , et que je souhaitais prendre cette direction . C'est pour cela qu'ils m'ont envoyé là-bas " . La session du 12 Mai 1965 fit date : elle donna naissance au morceau le plus connu de Wilson Pickett , " In The Midnight Hour " , ainsi que trois autres enregistrements considérés comme des classiques . Wilson Pickett , auquel Jimmy Evans fait plus souvent référence par l'épithète qui lui fut attribuée ( The " Wicked " Pickett , c'est-à-dire le " génial " Pickett , mais aussi le " méchant " ou le " diabolique " Pickett ) que par son nom et qui était notoirement doté d'une personnalité instable ( les coups de feu qu'il échangea plus tard avec les Isley Brothers et qui firent les gros titres des journaux n'avaient rien d'atypique dans son univers ) allait retourner deux fois à Memphis au cours des sept mois suivants et enregistre son second No 1 , " 634-5789 " , lors de l'ultime session de Décembre . La première session de Mai est cependant révélatrice , non seulement par la façon dont elle fut organisée , mais également par l'effet qu'elle eut sur Stax Records . Comme d'habitude , rien n'était prêt lorsque Wilson Pickett arriva . Steve Cropper , aux commandes à present de facto du studio , avait écouté les quelques disques de Wilson Pickett qu'il avait pu se procurer , parmi lesquels un disque live d'Atlantic Records " Saturday Night At The Uptown " , sur lequel apparaît le chanteur . A l'extrême fin de l'une des chansons de cet album , " I'm Gonna Cry " , Wilson Pickett faisait référence à " Late In The Midnight Hour " ( la dernière heure de minuit ) . Steve Cropper raconta la suite en 1968 à Jann Wenner , rédacteur à Rolling Stones . " J'ai pensé que c'était une accroche vraiment chouette pour un morceau . Quand il est arrivé , je lui en ai parlé ; et il m'a dit que c'était une bonne idée et qu'il y avait ce petit truc rhytmé sur lequel il travaillait depuis un bon moment . Ce n'était vraiment rien à faire , il n'y avait qu'un ou deux changements d'accords et on a commencé à travailler dessus . Quand j'avais écrit la mélodie , je ne voyais pas du tout les choses comme ça .
(From left to right) , at the back : Floyd Newman , Wayne Jackson , Al Jackson Jr. (At the front) : Steve Cropper, Mary Hunt (from The Tonettes) , Isaac Hayes , Mildred Pratchett (from The Tonettes)
Fondamentalement , les changements d'accords étaient les mêmes , le sentiment de base était le même , mais la douceur générale du morceau était différente . Au cours de la session , Jerry Wexler a dit : " Pourquoi vous n'utiliseriez pas ce truc-là ici ? " Il a dit que c'était comme ça que les gamins dansaient : en mettant l'accent sur le deuxième temps de la mesure " . " En fait , affirma Donald " Duck " Dunn à Wenner , la partie de basse était une idée de Jerry Wexler . Comme Steve Cropper l'a dit , il fallait que notre travail change de direction . Jerry Wexler a débarqué et a lancé l'idée du Jerk " . " Nous , nous avions le Funk , conclut Steve Cropper , mais Jerry Wexler savait ce sur quoi les gamins voulaient danser " . Ces mots de Steve Cropper résume toute l'histoire des relations entre Jerry Wexler et Memphis . En grand prestidigitateur qu'il était , Jerry Wexler prenait immédiatement conscience de l'opportunité qui s'offrait à lui . Ni arrangeur , ni ingénieur du son ( Steve Cropper prend bien soin de souligner que c'est Tom Dowd qui lui fournissait conseils et inspiration dans le domaine musical ) , Jerry Wexler s'était certainement rendu compte qu'il y avait là un certain nombre d'éléments qu'aucun " producteur " de session , aussi doué soit-il , ne pouvait espérer réunir consciemment , et il n'hésita pas à tirer avantage de la situation . La simple présence de Jerry Wexler en studio fut une spectaculaire révélation aux yeux de l'équipe de Stax Records . Il y avait bien sûr le brillant éclatant de la production appliquée à la session avec Wilson Pickett ( c'était l'oeuvre de Tom Dowd ) , mais le plus important était que le studio Stax était devenu suffisamment important pour justifier une visite du patron d'Atlantic Records . A de rares exceptions près , tous ceux et celles qui étaient alors en contact avec Stax Records se considéraient comme provinciaux . Non seulement parce qu'ils venaient de Memphis , mais surtout parce que , en raison même de la façon dont le studio fonctionnait , ils n'avaient aucune chance de sortir de Memphis . Au moment où Stax Records se forgeait sa propre légende , sa propre aura , personne dans la maison ( Jim Stewart compris ) ne savait ce qu'il se passait dans le monde extérieur . A leurs yeux , la star n'était pas Wilson Pickett ; Wilson Pickett n'était qu'un chanteur de Rhythm 'n' Blues parmi d'autres . Les stars étaient Jerry Wesler et son label Atlantic Records , desquels ils avaient tiré tous les fondements de leur son . Jerry Wesler était une présence exotique ; son langage lui-même ( et " son accent juif " ) sonnait aux oreilles d'habitants de Memphis qui n'avaient jamais vu New York comme une langue étrangère . C'était l'ultime couronnement de leur travail . A ce moment de son histoire , Stax Records était , sans exagération , une véritable anomalie . Bien que conçue sous bien des angles comme une alternative à Motown Records et se considérant elle-même en compétition avec la firme de Detroit ( " leurs disques étaient conçus depuis la table de mixage " , symptomatise Al Jackson ) , Stax Records ne pouvait vraiment rivaliser avec Motown Records que du point de vue idéalogique : Motown Records avait placé une douzaine de ses disques en tête des hit-parades , quand Stax Records n'avait pas plus d'une douzaine d'artistes sous contrat . Parmi ceux-ci , la majorité ( Rufus et Carla Thomas , les Mar-Keys , les MG's , les Mad Lads , Otis Redding et William Bell ) était là pratiquement depuis la création de l'entreprise . Sam & Dave venaient d'arriver , tandis qu'Eddie Floyd et Johnnie Taylor s'apprêtaient à entrer en scène , mais pour une compagnie de réputation mondiale dans le domaine de la Soul Music , le terrain de jeu paraissait étonnamment étriqué . On a toujours rétrospectivement décrit Stax Records comme une famille , et il n'y avait rien de plus exact ( une famille unie et soudée dans laquelle Jim Stewart aurait joué le rôle du père orgueilleux et sévère , Estelle Axton celui de la mère aimante , et Steve Cropper et Packy Axton respectivement ceux du bon et du mauvais fils ) . Comme dans toute famille unie , on y trouvait chaleur et communion , mais on s'exposait aussi , comme dans tous les groupes si intimement liés , aux jalousies et à la suspicion de ceux qui n'en faisaient pas partie . Selon Homer Banks , qui travaillait durant cette période au magasin de disques et tentait désespérément de faire entendre ses chansons ( son " Who's Making Love ? " fit découvrir au public Johnnie Taylor en 1968 , et révéla également Stax Records au grand public puisqu'il entra aussi bien dans le Top 10 Pop que dans les charts Rhtym 'n' Blues ) , Stax Records était " une boutique qui fonctionnait en quelque sorte à huis clos . C'était génial pour vous si vous faisiez partie de la famille , mais si vous veniez de l'extérieur , c'était plutôt difficle d'y entrer . Ce n'était pas aussi ouvert que beaucoup de gens se l'imaginent " . En réalité , les opportunités qui s'offraient aux " membres de la famille " étaient bien plus limitées qu'on ne pouvait le croire vu de l'extérieur . Il était par exemple pratiquement impossible à Booker T. & The MG's , pourtant l'un des groupes les plus populaires de l'écurie Stax Records , de partir en tournée et de rentabiliser leur popularité . Deux raisons expliquent cet état de fait : premièrement , Booker T. Jones était encore étudiant , en train d'essayer de sortir avec un diplôme en poche de l'Indiana University , qu'il avait intégrée à peu près au moment où " Green Onions " atteignait les hit-parades ; secondement , et l'argument était peut-être encore plus convaincant ( après tout , quelqu'un aurait pu facilement remplacer Booker T. Jones en tournée ; Isaac Hayes se prêta occasionnellement au jeu , parfois sans être rénuméré ) , Stax Records avait besoin du groupe en studio . Ils formaient cette section rythmique équilibrée dont parlait Jerry Wexler , le coeur du son Stax et avaient de toute évidence plus de valeur pour le label en studio que sur la route . Il est parfois difficile de parfaitement saisir les limitations ( financières ou autres ) que cet état d'esprit imposait aux divers membres du groupe " . Donald " Duck " Dunn , par exemple , Mar-Key d'un jour qui avait remplacé Lewis Steinberg au sein des MG's courant 1964 , devait concilier les séances chez Stax Records avec tous les autres jobs auxquels il devait s'astreindre pour simplement gagner sa vie . Donald " Duck " Dunn , personnage accomodant que l'on aurait certainement retrouvé dans le rôle du " bon copain " si Hollywood avait tiré un film de cette histoire , était à coup sûr flatté de jouer au sein des MG's , mais il confesse demeurer encore aujourd'hui perplexe quand aux raisons qui ont présidé à sa sélection . Pendant la journée , il continuait de travailler au magasin King Records dont s'occupait son frère Bobby . " Parfois , quand ils m'appelaient pour une session , j'étais obligé de mettre une note sur la porte : " je reviens dans cinq minutes " . Ensuite , j'ai joué avec Ben Branch ( c'était vraiment un honneur ) . Je crois que j'étais le premier Blanc à jouer dans un orchestre Noir à Memphis , et c'est là que j'ai commencé vraiment à apprendre quelque chose . Mais j'avais mon travail en journée , cinq jours et demi par semaine , et Ben Branch jouait du Mardi au Dimanche inclus au Penthouse Club . Nous avions nos Lundis de libres , mais nous devions en profiter pour répéter . Et si j'avais quelques heures devant moi , on allait au studio Stax Records pour enregistrer une démo . Je travaillais beaucoup pour me faire 150 Dollars par semaine ( 60 chez King Records , 60 avec le groupe , et je pense que Stax Records devait payer 15 Dollars par session en ce temps-là ) . Bien sûr , ça c'est amélioré depuis . A partir de 1965 , on était tous payés comme des employés à temps plein , mais je n'ai jamais pensé que ça avait la moindre chance de durer . Je me suis toujours demandé si je jouais assez bien . Je m'attendais toujours à ce qu'ils trouvent quelqu'un d'autre pour me remplacer " . Le songwriting lui-même , souvent considéré comme la clef du succès de Stax Records , impliquait jusqu'en 1964-1965 toute l'équipe , au mépris de l'organisation rationnelle . Steve Cropper , bien entendu , participait en studio et comme coauteur à l'écriture de bien des chansons ; Otis Redding était l'auteur de la plus grande partie de son propre répertoire ; et William Bell contribuait à certaines chansons pour d'autres interprètes . Mais ils ne suffisaient pas à constituer l'écurie tant vantée des auteurs de Stax Records .
Deanie Parker
Quelques Stax Records # 7 : 28'41
Deanie Parker , lycéenne embauchée comme secrétaire par Estelle Axton qui poursuivit son chemin pour devenir finalement directrice nationale de la promotion , se rappelle que lorsqu'elle a commencé à travailler chez Stax Records , " il fallait tout faire ... J'ai même écrit des chansons , moi qui n'avait jamais écrit de chansons de toute ma vie ! " Isaac Hayes et David Porter eux-mêmes , c'est-à-dire l'équipe qui en viendra à définir le songwriting Stax , faisaient à peine partie du personnel , bien que David Porter traînât dans le coin depuis que Stax Records avait ouvert ses portes et qu'Isaac Hayes eût joué des claviers avec les MG's depuis l'hiver 1964-1965 . En fait , Isaac Hayes et David Porter croyaient si peu en un succès éventuel qu'ils prirent un moment congé de Stax Records peu de temps avant l'arrivée de Sam & Dave pour enregistrer sur le label Genie Records , en accord avec Chips Moman , une chanson de l'ancien employé du disquaire Satellite Records Homer Banks , " Lady Of Stone " .
" Hold On , I'm Comin' "
L'histoire d'Isaac Hayes et de David Porter mérite d'être racontée : ils personnalisèrent à leur façon le succès de Stax Records et furent entraînés dans sa chute . David Porter , jeune homme affable et énergique qui n'aurait pas dépareillé une réunion du Rotary Club , grandit non loin de McLemore , sur East Virginia Street , à deux pas de chez Maurice White ( fondateur et principale tête pensante d'Earth , Wind And Fire ) , avec qui , enfant , il fonda un quartet Gospel . Au lycée , il enregistra pour un label local , Golden Eagle Records , puis pour le label du New Jersey Savoy Records sous le nom de Little David ( accompagné pour l'occasion par la section rythmique de Stax Records ) , et pour le label de Memphis Hi Records sous le nom de Kenny Cain . Il joua en ville avec un groupe appelé The Marquettes et chanta avec Barbara Griffin au Clifford Miller's Flamingo Room . Avec Cette même Barbara Griffin ( qui épousera Al Jackson ) , il se produisit même lors d'une ou deux des fêtes du nouvel an qu'organisait Elvis Presley . David Porter se souvient des premières sessions chez Satellite Records avec le chanteur Charles Heinz , ainsi que du jour où Estelle Axton a ouvert le magasin de disques . A peine sorti du lycée , et avec un semestre passé au LeMoyne College derrière lui , il décrocha un job à l'épicerie de l'autre côté de la rue , Jones Big Star Grocery , participa aux choeurs de quelques-unes des premières sessions à McLemore , enregistra sa propre version de " The Old Gray Mare " ( que Jim Stewart appelle " The Rockin' Ole Gray Mare " ) , dont il se félicite aujourd'hui qu'elle n'ait jamais été commercialisée , et cassa tellement les pieds de Jim Stewart et Estelle Axton qu'il devint bientôt le premier Noir à faire partie du personnel de Stax Records , tout marginal que fût son emploi . Isaac Hayes , né en aout 1942 , soit neuf mois après David Porter , quitta Memphis pour Covington , Tennessee , à l'âge de sept ans . Ayant dû redoubler une classe , il ne quitta le lycée qu'en 1962 . Tout comme David Porter , qu'il rencontra lorsque ce dernier essaya de lui vendre une assurance-vie ( Isaac Hayes travaillait alors comme emballeur chez un producteur de viande industrielle ) , il passa par plusieurs groupes , qu'il entraîna presque tous un jour ou l'autre au studio Stax Records pour passer une audition . " J'ai essayé à trois reprises d'entrer chez Stax Records . Une fois avec un groupe de Rock 'n' Roll , Sir Isaac & The Do-Dads , une fois avec un groupe vocal de Rock 'n' Roll , The Teen Tunes , et enfin avec un groupe de Blues , Sir Calvin Valentine & His Swinging Cats . Jim Stewart nous a refusés à chaque fois . Après ces échecs , j'ai commencé à travailler avec Floyd Newman , je jouais des claviers dans son groupe ( Floyd Newman jouait du saxophone baryton lors de nombreux enregistrements ; il faisait également partie des Mar-Keys ) , et nous nous produisions à la Plantation Inn , dans les quartiers Ouest de Memphis . Floyd Newman s'apprêtait à enregistrer son propre disque , et Howard Grimes , son batteur , et moi-même avions écrit un morceau intitulé " Frog Stomp " . On est allés au studio , et Jim Stewart , m'ayant entendu jouer du clavier , me proposa un poste d'accompagnateur , car Booker T. Jones était parti à l'école à ce moment-là . Ma première session fut un enregistrement avec Otis Redding " . C'était au début de 1964 . A cette époque , Isaac Hayes participa en tant que clavier à quelques concerts , dont un certain nombre de ceux prévus pour Booker T. Jones lui-même . C'est à ce même moment qu'Isaac Hayes et David Porter , rivaux d'un jour à l'époque du lycée ( non seulement ils faisaient partie d'établissements concurrents , mais ils chantaient également dans des groupes en compétition lors des concours amateurs de la Wednesday Night Amateur Night du Palace , dont le MC n'était autre que Rufus Thomas ) , travaillèrent pour la première fois en équipe . A les voir , leur association semblait parfaitement naturelle : David Porter , commerçant né à la langue bien pendue , et Isaac Hayes , personnage plus introverti et excentrique ( qui , avec son crâne rasé et son programme d'amaigrissement , n'était pas sans rappeler Monsieur Propre ) , mais artiste non moins doué et tout aussi ambitieux .
Isaac Hayes...
...et David Porter
Leur première composition commune fut une chanson que David Porter enregistra sous le titre " Can't See You When I Want To " . Ils écrivirent ensuite un morceau pour Carla Thomas , mais c'est finalement lorsque Jerry Wexler signa Sam & Dave au début de l'année 1965 que la chance leur sourit . " Jim Stewart nous a dit : ' Il y a des nouveaux qui viennent d'arriver , je veux que tout le monde prépare quelque chose à leur montrer ' . Et parmi tous les auteurs , ce fut notre travail qu'ils aimèrent ; ils voulaient que David Porter et moi écrivions leurs chansons . Alors on s'est mis à travailler sur des morceaux , on s'est trouvés une section rythmique , des cuivres et on a tout coordonné ( au début , on n'avait même pas de bureau . On allait travailler chez David , chez moi ou au piano dans le studio . La nuit , on dormait par terre . J'avais une idée , je commençais à jouer , et il acquiesçait et commençait à trouver des paroles ) . Puis on allait les montrer à Sam & Dave pour qu'ils les apprennent " . Les deux premières sessions avec Sam & Dave ne produisirent aucun hit à proprement parler , mais ils retournèrent en studio en Octobre et enregistrèrent " You Don't Know Like I Know " , qui atteignit le Top 10 Rhythm 'n' Blues . Seul le succès de leur chanson suivante , " Hold On , I'm Comin' " , put lui faire de l'ombre . " Hold On , I'm Comin' " fut le premier No 1 Rhythm 'n' Blues de Stax Records depuis " Green Onions " ; en fait , c'était la première fois que des voix enregistrées par Stax Records avaient un impact significatif sur les charts Pop depuis le " Gee Whiz " de Carla Thomas ( à l'exception de deux titres d'Otis Redding , mais ceux-ci étaient pratiquement restés cantonnés aux listes Rhythm 'n' Blues ) . Le succès de " Hold On , I'm Comin' " ne devait rien à la chance . La chanson incarnait sous bien des aspects la formule exacte que cherchait à tâtons Jim Stewart depuis qu'il avait entendu pour la première fois Ray Charles et qu'il avait commencé à enregistrer du Rhythm 'n' Blues : son texte construit en questions-réponses et parsemé d'allusions délibérément " grivoises " , les nuances Gospels du chant de Sam Moore et les répliques plus âpres et violentes de Dave Prater , l'accompagnement puissant aux forts relents religieux duquel se détachent les accords hachés du piano d'Isaac Hayes et la guitare rythmique chargée de vibrato de Steve Cropper . Otis Redding était trop Country , William Bell trop mesuré pour ne serait-ce qu'éspérer sortir un véritable succès Pop , mais Sam & Dave imposèrent une fois pour toutes Stax Records comme l'un des piliers de la scène Pop ( bien qu'à des années lumière de Motown Records , tant dans les intentions que dans les résultats ) . Ils s'imposèrent également comme les artistes les plus bouillants de Stax Records , et leur succès ouvrit la voie à une accumulation quasiment ininterrompue de hits , interprétés par des artistes différents , dont Isaac Hayes et David Porter furent responsables durant les quatre années suivantes . " Hold On , I'm Comin' " , comme beaucoup de leurs chansons , naquit d'une association d'idées purement accidentelles ( certains vers proviennent de bandes dessinées , d'autres de titres lus dans les journaux : " When Something Is Wrong With My Baby " fut développé à partir d'une histoire qu'ils auraient pu lire dans Teenage Confidential [ journal à sensation , à mi-chemin entre les actuels Tabloïds Anglais et notre Nous Deux ] ) . La genèse de cette chanson n'a rien de glamour : David Porter s'étant rendu aux toilettes , et Isaac Hayes s'impatientant , il lui cria " Hold On , I'm Comin' " ( " Attends une minute , mec , j'arrive " ) . " Je te jure : je suis aussitôt sorti de la salle de bains en criant ' J'ai trouvé ! ' Quand j'ai proposé ce titre à Isaac Hayes , il avait exactement ce qu'il fallait dans son piano . On n'avait tout torché en cinq minutes " . A peu près toute leur production semble ainsi frappé du sceau du hasard et de celui de l'inspiration . Peu de temps après ce premier succès , ils avaient un bureau et un piano demi-queue sur lequel chaque artiste Stax Records gravera finalement son nom ou ses initiales . L'histoire de chaque chanson commence alors que Ike et David ( parfois accompagnés de Sam & Dave ) jouent aux dès sur la moquette verte de leur bureau . Il est aussi possible qu'ils soient en train de jouer au golf miniature pour se détendre avant de se mettre au travail . S'ils attendent Johnnie Taylor , ils concentrent leurs efforts sur un Blues ; pour Carla Thomas , ils cherchent quelque chose de doux , et pour Sam & Dave , ce devait être quelque chose de plus grossier et grivois . " On écrivait toujours avec à l'esprit le style et la personnalité de l'artiste , on essayait de leur tailler un costume sur mesure " , raconte David Porter . Une journée typique chez Stax Records comprenait certainement pas mal de temps passé à ne rien faire . Dans le texte suivant , Stanley Booth , écrivain de Memphis envoyé sur place par le Saturday Evening Post , dépeint avec verve un épisode caractéristique de l'année 1967 ( alors que Stax Records était au faîte de son succès ) . Presque tout le monde chez Stax Records porte une sorte d'uniforme : des pantalons étroits sans revers , des pulls Italiens , et des mocassins d'un noir brillant . Mais voici un grand jeune Nègre , tête rasée et barbu , debout dans le couloir . Il porte une casquette de style Russe , un pull-over blanc à rayures vertes , un pantalon d'un vert vif , des chaussettes transparentes en nylon noir agrémenté de côtes vertes et des chaussures en lézard d'un vert éclatant . Dans un sac en papier , il transporte quelques métres de tissu zébré , dont il entend faire un costume à porter avec un pardessus de mohair blanc . Son nom est Isaac Hayes . Avec son partenaire , David Porter , Isaac Hayes a écrit des chansons telles que " Soul Man " et " Hold On , I'm Comin' " pour le duo Sam & Dave de l'écurie Stax Records . David Porter , vêtu moins spectaculairement d'un pull beige et d'une paire de Levis en velours côtelé , est assis à un bureau dans le hall , devant un téléphone qu'il n'utilise ostensiblement pas .
" Viens , l'interpelle Isaac Hayes . Allons écrire à côté . Je suis chaud .
- Je ne peux aller nulle part avant d'avoir réglé le cas de cette fille .
- De qui tu parles ?
- Tu le sais très bien . Tu crois que je dois l'appeler ?
- Qu'est-ce que tu veux que ça me fasse ? J'ai envie d'écrire .
- Tu vois , elle monopolise mon esprit...
- Allez , mec , on y va ! Je suis Chaud ! .
David Porter hausse les épaules et suit Isaac Hayes dans un bureau où s'entassent trois chaises pliantes , une table couverte d'anciens numéros de Billboard et du Hit parader , ainsi qu'un piano demi-queue et se met aussitôt à jouer lentement et sérieusement des accords qu'on croirait tout droit sortis d'une église . Tout en jouant il siffle , fredonne quelques notes , chante . David Porter chantonne avec lui . Il ouvre un attaché-case noir qu'il avait pris avec lui , se saisit d'un stylo bille et de plusieurs feuilles de papier blanc pour machine à écrire , et entreprend de les recouvrir d'une écriture rapide . Il s'arrête au bout de trois minutes , sort une paire de lunettes noires de sa poche , les chausse , rejette sa tête en arrière et se met à chanter : " You were raised from your cradle to be loved by only me ..." ( " Depuis le berceau , tu étais destinée à n'être aimée que de moi..." ) . Il commence le vers suivant , mais s'arrête . " Ca colle pas . Désolé " . Il corrige ses notes puis se remet à chanter . Isaac Hayes s'arrête de jouer , se tourne vers David Porter , et lui lance : " Tu sais quoi ? Je ne suis pas vraiment convaincu , là... On pourrait pas essayer quelque chose du style : " You can run for so long , then you're tired , you can do so and so..." ( " Tu peux courir tant que tu voudras , tu te fatigueras bien un jour ; tu peux faire ceci ou cela... ) . " Oui , acquiesce David Porter , il faut bien se faire comprendre " . La porte s'ouvre , et apparaît un petit homme en costume noir assorti à son chapeau et sa moustache , tenant par la main une très fine jeune fille coiffée d'une perruque orange . " Il faut que vous écoutiez ça " , annonce-t'il , désignant de la tête la fille , visiblement secouée . " Tu es nerveuse ? lui demande Isaac Hayes . Calme-toi et amuse-toi . Ne t'occupe pas de nous . On n'est que deux chats de gouttières " . La fille s'assoit en souriant timidement . David Porter écrit Forever Wouldn't Be Too Long ( L'éternité ne sera pas de trop ) en haut de la page . Puis :
My love will last for you
Till the morning finds no dew
'Cause I'm not tired of loving you... ( Mon amour pour toi durera / Aussi Longtemps que la rosée tombera au matin / Car je ne suis pas las de t'aimer... )
Il s'arrête , pose son stylo , et dit dans un baillement : " Putain , c'était quoi ce truc que j'avais en tête...
- Ca fait combien de temps que vous travaillez ? lui demande l'homme en costume noir.
- Qu'est-ce que j'en sais ! répond Isaac Hayes . Nous ne sommes pas limités par le temps .
Isaac Hayes éclate de rire . David Porter bat la mesure du pied droit , une fois , deux fois , et Isaac Hayes plaque un accord . David Porter ferme les yeux et s'écrie : Cross yo' fingers ( Croise les doigts ) . Il chante en gigotant sur sa chaise qui grince , il chante de plus en plus fort , de plus en plus vite , comme s'il la connaissait depuis des années alors qu'il est en train de la fabriquer de toutes pièces . Son improvisation est incroyablement fluide . La fille sourit , puis pouffe de rire . Quand David Porter s'arrête , il grogne : " Mec , on aurait dû avoir un magnétophone pour enregistrer ça , je ne retrouverais jamais le même feeling . Et merde ! C'est un hit ! ' Cross Yo' Fingers ' ! C'est un titre taillé pour le succès " . Il retourne à son papier et commence à retravailler son texte . Isaac Hayes sourit à la jeune fille . " Alors comme ça tu es chanteuse ? " Elle avale difficilement sa salive et opine . Sa perruque , ses talons hauts et son imperméable étroitement resserré par sa ceinture ne la font paraître que plus mince et plus effrayée . " Voudrais-tu nous chanter quelque chose ? " Elle déglutit et hoche à nouveau sa tête . Ils choisissent une chanson , une tonalité ( Isaac Hayes lui demande : " Tu peux chanter aussi haut ? " ) , et elle commence à chanter . Au début , sa voix tremble , mais au fil de la chanson elle prend de la force . Elle ferme les yeux et se balance doucement d'avant en arrière , tandis que sa voix emplit la pièce . David Porter cesse d'écrire pour la regarder . Elle a l'air si frêle qu'on s'attend à la voir manquer les notes les plus aiguës , mais elle les tient parfaitement à chaque fois , et sa voix gonfle et s'épanouit . Son chant s'achève soudain sur une note longue , douce et vibrante . Elle ouvre les yeux et avale sa salive . David Porter applaudit . " N'était-ce pas magnifique ? " Demande-t'il .
" Où est-ce que tu es allée au lycée ? " Demande Isaac Hayes à la jeune fille .
- " Manassas " .
- " Man... J'étais à Manassas . Comment tu t'es débarrassée d'eux ? Quand est-ce que tu as eu ton diplôme ? "
Elle détourne son regard et ne répond pas .
" Tu n'as pas ton diplôme ? Quel âge tu as ? "
La fille bredouille quelque chose .
- " Quoi ? "
- " Dix-sept ans " , murmure-t'elle .
- " Dix-sept ans ? Une voix pareille à dix-sept ans ? Ce bon vieux Manassas... Allez , ça , tu ne peux pas y échapper ! "
Isaac Hayes se met à chanter la chanson de l'Alma Mater de Manassas . David Porter se joint à lui . Ils se lèvent et se mettent à danser . David Porter prend la fille par les mains , et elle se met à danser et à chanter avec eux . Ils tourbillonnent tous les trois dans la pièce . L'homme à la moustache ferme les yeux et sourit .
L'extravaguant Isaac Hayes
Ni Isaac Hayes ni David Porter ne renonçaient en leurs propres ambitions d'interprètes. Isaac Hayes chantait et jouait toujours des claviers dans les groupes de Ben Branch et de Bowlegs Miller , et il remplaça Booker T. Jones lors de quelques concerts avec les MG's bien après la consécration du duo d'auteurs à succès qu'il formait avec David Porter . David Porter , dont l'inspiration originelle en tant que chanteur avait été Clyde McPhatter , se produisait toujours dans des endroits comme le Johnny Curry's Club ou le Tiki Lounge . L'association de David Porter et d'Isaac Hayes devint une sorte de lègende underground et dans toute la ville , les musiciens professionnels et les habitués des clubs savaient que leurs spectacles étaient aussi chauds que ceux de Sam & Dave . " Sam & Dave étaient en fait une sorte de prolongement d'Isaac Hayes et de David Porter , raconte Jimmy Johnson , guitariste de Muscle Shoals qui joua sur de nombreux succès postérieurs de Stax Records . Assister à une séance de tavail et d'écriture d'Ike et de David , c'était comme aller à léglise . Ils entraient dans la pièce , l'atmosphère devenait brûlante , ils entraient dans cette pièce dans leurs costumes stricts , s'asseyaient au piano , et David Porter sautait en l'air en hurlant les paroles de leur chanson . Ce que je veux dire , c'est que c'étaient Isaac Hayes et David Porter qui auraient dû être sur le devant de la scène " . Jim Stewart n'avait cependant aucun interêt à voir l'un de ses deux auteurs se lancer dans une carrière d'artiste solo . Peut-être , et cela était bien compréhensible , ne voulait-t'il pas briser une association fructueuse ; peut-être anticipait-t'il les tensions que les succès de l'un ou de l'autre auraient provoquées dans l'équipe , ou les contraintes qu'auraient imposées les demandes de performances publiques au sein d'une union parfaitement heureuse . Mais avant tout , d'après Isaac Hayes , il ne s'intéressait ni à Isaac Hayes ni à David Porter en tant qu'artistes car il avait des idées bien arrêtées sur le Rhythm 'n' Blues . " Il disait : ' Isaac , tu as une trop jolie voix pour chanter ' . Parce que l'idée qu'il se faisait des Noirs qui faisaient du Rhythm 'n' Blues était celle de types dotés de voix rugueuses . J'étais influencé par Nat King Cole , je voulais chanter du Jazz . Le frère de Carla Thomas , Marvell , jouait des claviers , et je me souviens que nous nous disputions souvent avec Jim Stewart au sujet de certains accords . Parfois Booker T. Jones se joignait à nous . Parce que nous voulions ajouter des trucs assez progressistes par rapport à ce qui se faisait alors . Jim Stewart nous disait : ' Ne mettez pas d'accords Jazzy là-dedans ! ' Et nous : ' Mais , Jim... ' - ' Non , non , je n'en veux pas ' . Naturellement , c'était lui qui gagnait . C'était le patron " .
Sam & Dave
Sam & Dave , pendant ce temps , étaient en train de devenir les atistes de scène les plus demandés de tout le pays . Leurs tournées étaient organisées , comme celles de la quasi-totalité des artistes Stax Records , par la compagnie de Phil Walden , récemment rebaptisé Walden Artists & Promotions , et ils réunissaient sur scène l'activité frénétique d'un James Brown , le dynamisme vocal d'un Wilson Pickett et les rudes harmonies Gospels des Sims Twins , découverts par SAR , le label de Sam Cooke , et dont le hit de 1961 , " Soothe Me " , venait , six ans plus tard , d'être repris par le duo . Le critique Joe McEwen écrira que " la Sam & Dave Revue était une impressionnante machine parfaitement huilée qui a défini en pratique le concept de spectacle Soul dans les années 60 " . Jon Landau déclarait dans le magazine Rolling Stone : " Que Sam & Dave soient les meilleurs interprètes de Soul en exercice , cela ne fait que peu de doute , et je ne pense pas que quiconque a assisté à leur spectacle au moment de leur apogée puisse facilement oublier l'impact qu'avaient leurs performances scèniques sur leur public ". Otis Redding , en tout cas , ne l'a pas oublié . La première fois qu'il est parti en tournée avec eux , leur succéder sur scène a bien failli lui coûter la vie . " On appelait ce petit jeu ' mettre le show sans dessus dessous ' , raconte Alan Walden , qui s'occupait alors des concerts des deux artistes . Otis Redding fit lors de cette première tournée trente-sept dates avec eux , dont les sept premières a l'Apollo . Quand je suis arrivé à l'Apollo , je l'ai trouvé en coulisses en train de sucer du citron et de manger du miel ; il était enroué comme jamais et de toute sa vie je ne l'ai jamais vu aussi nerveux . Il m'a dit : ' Ces enfoirés , sont en train de me tuer . Ils me tuent . Je vais aussi vite que je peux , mais ils me tuent quand même . Bordel de Dieu ! ' " Bref , je l'ai emmené se changer les idées à Atlantic Records , et on est allés dîner avec Jerry Wexler . L'idée m'est venue en plein milieu du repas , et je lui ai dit : ' Bon Dieu , Otis , tu vas trop vite . Il faut Que tu ralentisses ton show . C'est tout simple : tu forces trop ' . Il m'a répondu : ' Non , non , Red , je ne dois pas freiner le Groove ' . Alors Jerry Wexler a ajouté : ' J'ai remarqué la même chose . Mon gars , il faut que tu relâches un peu la pression tout en gardant le même Groove . Tu sais , quand tu joues , on dirait presque que tu es nerveux et que tu as hâte de descendre de scène ' . " Otis Redding y a réfléchi à deux fois , et quand il s'est retrouvé le lendemain à l'Apollo , Sam & Dave venaient de quitter la scène , et la salle était incandescente , chaude comme une fournaise . Phil Walden s'est avancé vers lui et lui dit : ' Otis , monte sur scène , c'est toi la star , alors monte sur scène et montre à ces fils de p... qui tu es ' . C'est ce qu'il a fait . Et Sam & Dave étaient de l'histoire ancienne . " Après sept soirs à ce régime , Otis Redding m'a dit : ' Put..., on a encore trente-sept jours à tenir comme ça , alors je ne continue pas avec ces gars-là qui passent juste avant moi trente jours de plus . Fais-les finir la première moitié du show , et comme ça je serais le second climax à la fin de la seconde moitié ' . Trois jours plus tard , il disait à Phil Walden : ' Remets ces enc.... avant moi . Il me font bosser comme je n'ai jamais bossé de ma vie ' . Pendant tout le reste de la tournée , ils passèrent en scène juste avant Otis Redding , et quand elle se fut achevée et qu'il revint au bureau , il paraissait déconfit et nous dit : ' OK , les gars , tant que je vous tiens tous les deux : ne me programmez plus jamais dans les mêmes shows que Sam & Dave . Je ne veux plus jamais partager l'affiche avec eux ' . On a acquiescé , et Phil Walden s'est écrié ' Oh , mon Dieu ! ' Otis Redding lui a demandé ce qu'il se passait . ' Je viens juste de signer un contrat pour une tournée Stax-Volt Records de trente jours en Europe avec eux ! ' ( la scène se déroule au printemps 1967 ) Otis Redding a dit : ' OK , pour celle-là . Mais après , je ne veux plus jamais revoir ces deux enfoirés ' " .
M. Inside et M. Outside
Al Bell ( M. Outside ) et Jim Stewart ( M. Inside )
Ainsi allait la vie sur la route . A l'arrière , loin du front , le succès de Sam & Dave était reflété par le développement et l'ambition grandissante de la compagnie . Les événements se précipitaient . Les ventes grimpaient en flèche . " I've Been Loving You Too Long " d'Otis Redding avait atteint le No 2 du hit-parade Rhythm 'n' Blues en Mai 1965 ( et le No 21 du hit-parade Pop ; ce fut sa meilleure vente avant le posthume " Dock Of The Bay " ) . Wilson Pickett avait enregistré un No 1 Rhythm 'n' Blues , " In The Midnight Hour " , et son " 634-5789 " allait , au début de l'année 1966 , connaître le même destin , tandis que Don Covay , de son côté , était entré dans le Top 10 des charts Soul avec un titre enregistré à Memphis , " See-Saw " . Rien d'étonnant à ce que Jerry Wexler parle de faire descendre de plus en plus des artistes les plus populaires d'Atlantic Records à Memphis ; Jim Stewart , lui , commencait à se dire que le succès de Stax Records était peut-être fait pour durer . C'est alors qu'à l'Automne 1965 , à l'instigation de sa soeur et avec les encouragements actifs de Jerry Wexler ( qui assura la moitié du salaire du nouveau venu ) , Jim Stewart engagea Al Bell au poste de directeur national des ventes , chargé en particulier de la promotion . Al Bell ( né Alvertis Isbell à Little Rock ) avait vingt-cinq ans . Il était grand ( 1 m 92 ) , plein de bagout et affable , et avait passé deux ans au Philander Smith College , une université de l'Arkansas réservée aux Noirs où il avait officié comme DJ Gospel . Il était ensuite devenu l'un des DJ les plus populaires de la puissante WLOK de Memphis , pour s'installer finalement au micro de WUST à Washington D.C. , où il fonda son propre label , Safice Records ( distribué par Stax Records ) et fit la promotion de Stax Records dans la région . Al Bell était prêt pour cette nouvelle évolution de carrière . Presque à compter du jour de son arrivée , il prit la tête de la compagnie d'une façon que personne n'avait prévue , comblant un vide dont personne n'avait vraiment perçu l'existence . On discute encore aujourd'hui de la façon dont Al Bell est arrivé chez Stax Records . Jerry Wexler s'attribue la plus grosse part de responsabilité dans son embauche , insistant sur la contribution d'Atlantic Records à son salaire et sur son propre sentiment , exprimé avec force , que Stax Records avait besoin d'un cadre noir dans son équipe . Jim Stewart affirme que l'idée vient de lui-seul , et qu'il n'était que justice qu'Atlantic Records paye quelqu'un qui , après tout , faisait la promotion de produits d'Atlantic Records . Steve Cropper reconte que c'est lui et Estelle Axton qui ont amené Al Bell au sein de la compagnie . " Quand il a quitté Memphis pour Washington , j'ai eu l'impression d'avoir perdu un ami .
Al Bell
Quelques Stax Records # 8 : 28'17
Al Bell était l'un des types les plus brillants que j'aie jamais vus de ma vie dans les radios noires . Et je savais qu' Al Bell avait la force de donner à Stax Records un rayonnement national " . Ce fut exactement ce qu'il fit . Quelle que soit la vérité sur son engagement , il n'y a aucune hésitation à avoir quant à l'effet qu'il eut sur la compagnie . Tout d'abord , il amena avec lui Eddie Floyd , ancien membre des Falcons ( groupe dont faisait partie Wilson Pickett à Detroit ) et partenaire d'Al Bell au sein du petit label Safice Records , dont il était également un des artistes ( le e et le f de Safice Records venaient de lui , le a et le i d'Al Bell et les autres lettres de Chester Simmons , le troisième partenaire ) . Eddie Floyd devint l'un des auteur-compositeurs les plus fiables de Stax Records ( il composa avec Steve Cropper le " 634-5789 " interprété par Wilson Pickett , le " Don't Mess With Cupid " d'Otis Redding , et son propre " Knock On Wood " , ainsi qu'un artiste lui-même très populaire .
Eddie Floyd
Plus significativement , Al Bell ( jeune , noir , susceptible de promotion sociale et en position très visible de pouvoir réel ) dut toucher la corde sensible non seulement des gens de radio et des responsables de promotion sur lesquels il était censé , par définition , faire bonne impression , mais également celle de la famille Stax elle-même . ( Une publicité de l'époque affirmait : " Bien que sa langue bien pendue soit responsable de la plus grande partie de nos factures de téléphone , il s'occupe de faire tourner la boutique " ) . L'effet le plus immédiat de l'arrivée d'Al Bell fut cependant de contrebalancer la personnalité quelque peu pâlotte de Jim Stewart . Ce dernier admettait franchement ses déficiences en ce domaine et la possibilité qu' avait Al Bell de contribuer positivement à l'image de la compagnie . Jim Stewart se dépeint lui-même comme un " salaud de conservateur " . " Je n'avais aucune ambition en matière de popularité . Ce que je faisais , je le faisais parce que je pensais que c'était ce qu'il y avait de mieux à faire pour la compagnie " . En face de lui , Al Bell était une personnalité flamboyante , enthousiaste , enjouée , confiante et exubérante , il " était prêt à essayer de réaliser tout ce en quoi ( il ) croyait " . Dans Stax Fax , l'ambitieux magazine d'entreprise que Deanie Parker lança à la fin de l'année 1968 , Jim Stewart déclarait : " J'étais Mr. Inside ( " M. Dedans " ou " M. Intérieur " ) et lui était Mr. Outside ( " M. Dehors " ou " M. Extérieur " ) " . Dans un autre numéro de cette publication promotionnelle , il déclarait : " Al Bell m'a donné une conscience sociale " . Résumant cette période , Jim Stewart déclare aujourd'hui qu'Al Bell " était quelqu'un de très agressif . Et , bien entendu , étant aussi agressif , il avait du mal à tolérer mon conservatisme , mais il avait besoin de ce facteur d'équilibre , et nous formions alors , jusqu'à un certain point , une très bonne équipe " . Donald " Duck " Dunn , de son côté , ne voit pas les choses de la même façon . " Jim Stewart pouvait souvent être vraiment casse-pieds . Et quand je dis souvent , je devrais dire la plupart du temps . Il ne caressait jamais dans le sens du poil , il préférait donner des coups de pied au cul . Je suppose qu'il était nécessaire qu'il se comporte ainsi , et les trois quarts du temps il avait probablement raison . Mais ensuite Al Bell est arrivé . Il sympathisait avec vous , vous caressait dans le sens du poil , et vous croyiez tout ce qu'il vous disait . Je vais te dire une chose : s'il mentait , il fallait qu'il soit un sacré bon menteur , car je l'ai cru . A certain moment de la fin des années 60 , on était tous là à dire à Al Bell : ' Ouvre la marche et crée ta propre compagnie , on est prêt à te suivre ' . Cela c'est passé plus tard , mais c'est de cette façon qu'il nous a tous mis dans sa poche " . Pour la plupart des Noirs de la compagnie , Al Bell était une sorte de héros clandestin , le " Jesse Jackson " de la politique intérieure de l'entreprise . Aux yeux d'Isaac Hayes , Al Bell représentait une sorte de repoussoir face à l'hégémonie des cadres Blancs de Stax Records , et notamment de Steve Cropper , perçu comme , à peu de choses près , le " boy " de Jim Stewart . William Bell lui-même , plus modéré et bien plus apte à considérer les choses sur le long terme qu'Isaac Hayes , déclare sans hésitation : " Je pense qu'Al Bell a fait du bien au label . Jim Stewart se concentrait plus ou moins sur l'aspect commercial des choses , et Al Bell était un vrai combinard . Il allait au-devant des événements . Il s'arrangeait toujours pour faire des affaires . Je pense que la combinaison de ces deux personnalités fut une très bonne chose pour le label : les ventes de nos disques ont vraiment explosé à peu près un an après l'arrivée d'Al Bell . Lui , il aimait aller à la rencontre des gens , il aimait jouer les coudes et discuter affaires , et cela a fait du bien à la compagnie : nous nous développions , tant en termes de valeur des artistes qui venaient travailler avec nous qu'en termes de quantité de disques vendus . Et il nous fallait transformer un petit label familial en conglomérat manipulant des millions de Dollars " . Al Bell ne se trompa pas sur l'essence de ce changement , imbrication inévitable de croissance et de progrès . Celui-ci apporta cependant avec lui ses propres difficultés , des problèmes commerciaux et artistiques qui ne devaient jamais être complètement résolus . Avant la fin de la décennie , la liste des artistes de Stax Records allait passer d'une douzaine de noms à près d'une centaines , expansion répercutée sur les ventes . Alors que la compagnie se contentait jusqu'alors d'être un petit soldat loyal parmi d'autres dans l'armée féodale d'Atlantic Records , Stax Records décida soudain , avec l'arrivée d'Al Bell , de mettre en place son propre département publicité ( Deanie Parker ) , sa propre force de vente et sa propre équipe chargée de la promotion ( initialement Al Bell lui-même ) ( sa propre aura de mystère . En tant que directeur national des ventes et bientôt vice-président exécutif ) , Al Bell était constamment en mouvement , parvenant à un degré de proximité dans ses relations avec les radios noires qui n'avait jamais été ne serait-ce qu'envisagé par Stax Records auparavant ( " Pour ces gars , il était une sorte de Dieu " raconte Donald " Duck " Dunn ) et qui reposait bien plus sur sa personnalité généreuse que sur la générosité des faveurs dispensées simultanément . Très vite , Al Bell passa le plus clair de son temps dans les bureaux de Stax Records , se concentrant sur le développement de la production et de la conscience que la compagnie avait d'elle-même , et déléguant les tâches promotionnelles à des légendes de la trempe d'un Chester Simmons , son vieux complice de Safice Records , ou d'un Eddie Braddock , un Blanc natif de Memphis au débit de parole impressionnant , dont le surnom de " The Arranger " ( " l'arrangeur " ) témoigne de la force de persuasion . Il avait grandi avec Donald " Duck " Dunn , Steve Cropper et Packy Axton et se faisait fort de pouvoir entrer dans n'importe quelle radio noire à la seule force de son verbe . Eddie Braddock se rappelle avoir parfois , à la fin des années 60 et dans les années 70 , visité trois villes en une seule journée de travail , petit-déjeunant à Cincinnati , déjeunant à Saginaw et dînant à Salem , Oregon , avec des DJ soucieux de recevoir la bonne parole et les largesses de Stax Records . De retour dans son bureau , il s'asseyait sous une photo géante d'Al Bell surplombé d'un slogan qui l'interpellait par ces mots : " Dans combien de stations de radio pouvez-vous vous rendre aujourd'hui ? " En 1965 , tout ceci faisait encore partie d'un futur proche , mais surtout des plans d'Al Bell et de l'idée grandiose qu'il se faisait de lui-même et de la compagnie . Les changements de produisaient les uns après les autres , et chacun avait sa petite théorie quant à savoir si tout cela arrivait trop vite ou non . Apparemment , Jim Stewart faisait bon accueil aux changements et cherchait même à adopter certaines caractéristiques de son nouvel employé . Il raconte que lorsqu'il avait quitté son poste à la banque en 1964 , " ( il ) n'était plus vraiment à l'aise dans l'atmosphère de la banque ( ils ( le ) regardaient plutôt d'un drôle d'air ) . ( Il ) commençait à porter des cheveux longs , ( ses ) costumes étaient un petit peu trop continentaux , et la banque n'appréciait tout simplement pas ces changements " . Les diverses modifications que subissaient Stax Records et son personnel , tant au niveau du style qu'à celui du fond , perturbèrent profondement Estelle Axton , et c'est à cette période qu'apparurent les premiers signes de frictions sérieuses entre elle et son frère . Tout d'abord , Estelle Axton n'était pas satisfaite de l'orientation musicale que prenait la compagnie . Jusqu'alors , elle avait joué un rôle important dans le processus décisionnel , ou tout du moins avait fait connaître ses opinions ( " Elle était très opiniâtre , témoigne un Isaac Hayes admiratif . Et elle était très ouverte aux idées nouvelles " ) . En 1966 , Al Bell prit la décision de faire enregistrer à Carla Thomas quelques morceaux Country . " Je crois , se rappelle Estelle Axton , que c'était juste avant " B-A-B-Y " , une de ses meilleures chansons , et je leur avais dit que ça ne pouvait pas marcher . Ils allèrent jusqu'à Detroit et dépensèrent près de 40.000 Dollars pour produire un titre de Country . Au retour , nous avons tous été invités en salle de contrôle pour écouter le résultat . Naturellement , tous les musiciens étaient d'accord pour dire que c'était très bien ( ils ne voulaient ni perdre leur emploi ni lancer une quelconque controverse ) . Quand ce fut mon tour , j'ai dit : ' Je ne pense pas que Carla Thomas soit la bonne personne pour chanter de la Country . A mon avis , ce disque ne se vendra pas . Ce n'est pas une bonne direction à prendre ' . Conséquence : ce fut la dernière fois que je fus invitée à m'exprimer sur un enregistrement " . Aux yeux de Jim Dickinson , iconoclaste reconnu , cette manière de penser ( faire enregistrer de la Country à Carla Thomas ) était symptomatique de l'embarras grandissant , qui touchait presque à une invalidante conscience de classe , que commençait à ressentir Stax Records au sujet de sa musique et du milieu dans lequel la compagnie se trouvait elle-même embourbée . " Ils n'ont jamais vraiment compris qui ils étaient " , déclare-t'il , faisant référence non seulement à Jim Stewart , parce qu'il ne fallait pas qu'il bousille la nouvelle console . C'est ce genre de mentalité qui a tué Stax Records . S'ils avaient pu faire marche arrière , utiliser le matériel cassé de leurs débuts et employer des péquenots et des incapables , ils auraient eu plus de chance de s'en sortir " . Ce n'était , bien entendu , pas aussi simple . Packy Axton était de plus en plus mis à l'écart de la compagnie , et Estelle Axton en était peinée , bien que tout le monde s'accorde a posteriori pour reconnaître que cette évolution était inévitable . Les descriptions que ses amis font de Packy Axton varient au fil des années : c'est un " playboy " , " quelqu'un de très insouciant " , et un esprit libre , " plus à la pointe de la mode que quiconque " , qui en vint à transformer la boutique de disques en " carrefour du vice " du Sud de Memphis . Quoi qu'il en soit , il était présent depuis la création de Stax Records , c'est grâce à lui que Steve Cropper , Donald " Duck " Dunn et des musiciens noirs comme Gilbert Caple avaient originellement rejoint l'équipe du studio Satellite Records , et voici qu'à présent il obtenait de moins en moins de temps de travail en session et qu'il devenait évident que son oncle , Jim Stewart , n'avait plus foi en lui . " Packy Axton aimait faire la fête , reconte Isaac Hayes , un admirateur , et Jim Stewart ne pouvait pas dire à Packy Axton ce qu'il devait faire . Jim Stewart refusait tout simplement de s'en occuper " . " Il y avait de meilleurs saxophonistes , ajoute Donald " Duck " Dunn , un autre de ses amis proches , et , entre nous , je crois bien qu'il y avait des gens plus fiables que lui . Je pense que c'est comme cela que Jim Stewart voyait les choses . Je me sentais coupable parfois quand on m'appelait pour une session et qu'on n'appelait pas Packy Axton . Ca fait mal . Mais c'est la dure loi de l'existence . Quand tu as une femme et deux enfants , il faut bien les faire vivre " . Estelle Axton , loyaliste farouche et ennemie tenace s'il en est , est à la fois plus explicite et pleine de ressources lorsqu'il s'agit de défendre son fils unique . " Jim et moi nous sommes assez souvent disputés au sujet de Packy . Il me semblait bien qu'on profitait de lui , mais à l'époque , je ne pouvais vraiment rien y faire " . En Juillet 1965 , Packy Axton et son ami " Congo " Johnny Keyes partirent commencer une nouvelle vie en Californie . En Août , Estelle Axton prit la tête d'une tournée éclair regroupant une sélection d'artistes Stax Records sur la côte Ouest , et qui devait s'achever dans un club de Los Angeles jouxtant le magasin de vins et spiritueux qui , d'après Steve Cropper , allait être le premier bâtiment à bruler , dès la nuit suivante , dans les émeutes de Watts . Ce concert , en particulier , avait été conduit par le Magnificent Montague , DJ flamboyant connu pour son slogan " Burn , Baby , Burn " ( Brule , Baby , Brule ) qui devait , ironiquement , être utilisé à ce moment-là pour inciter non plus à se laisser envahir par la musique mais à envahir le champ politique et à mettre la pagaille dans la ville . Encouragé par Estelle Axton , Montague signa Packy Axton sur son label Pure Soul Music Records , et , avec la permission explicite d'Estelle Axton , la section rythmique de Stax Records tout entière , c'est-à-dire Booker T. & The MG's , puis il alla rejoindre Packy Axton et " Congo " Johnny Keyes en studio . Le résultat fut un No 5 dans les charts ( " Hole In The Wall " ) , crédité aux Packers , mais dont le son , immédiatement reconnaissable , était celui des MG's . Et le fossé de se creuser consèquemment entre Jim Stewart et Estelle Axton .
" Cétait comme si on leur avait donné un hit tout fait , s'indigne assez justement Jim Stewart . A ce moment-là , cela m'a semblé être un véritable coup de couteau dans le dos , mais je ne pouvais rien y faire , car c'était ma partenaire qui avait agi ainsi " . De son côté , Estelle Axton , qui se retirait de plus en plus des affaires , blessée par le traitement infligé par Jim Stewart à son fils et par ce qu'elle prenait pour de l'indifférence de la part de son frère , ne se sentait pas rétribuée à la mesure de ses efforts . Les deux années suivantes allaient voir Al Bell usurper de plus en plus la position qu'elle occupait auparavant , non seulement au niveau politique mais aussi au niveau financier ; Estelle Axton allait voir son frère déléguer des pouvoirs de plus en plus grands au nouveau venu et allait apprécier de moins en moins la direction prise par la compagnie . Ces tensions sous-jacentes ne pouvaient être intégralement dissimulées , mais elles n'étaient cependant pas entièrement apparentes lorsque Stax Records tournait à plein régime , en 1965 ou 1966 . En 1966 , Al Bell parvint à vendre le nombre surprenant de huit millions de singles . En 1966 , Otis Redding mettait pour la première fois le pied sur le sol Européen . En 1965 et 1966 , le studio Stax Records produisait quatre des trente meilleurs ventes de disques Soul . Le sentiment dominant était celui d'une pure joie de vivre : l'intuition grandissante et irrépressible que Stax Records était sur de bons rails , que la famille Stax Records était prête à relever n'importe quel défi , prête à prendre un essor mondial s'il le fallait ( mais toujours tous ensemble ) . William Brown , l'ingénieur du son , se rappelle une nuit de neige qu'il avait passée blotti près du chauffage , après l'extinction des feux . " Ce fut une nuit rocambolesque . Il n'y avait qu'un seul radiateur , accroché au mur opposé . On jouait un peu , on avait froid , alors on allait se réchauffer un moment contre le radiateur et puis on retournait jouer . Tu pouvais appeler Isaac Hayes à travers le hall et lui demander de venir au piano pour une session . Il ne se préoccupait pas de savoir s'il allait être payé ou non . David Porter était lui aussi dans le coin , et Ike lui demandait : ' Hé , mon gars , qu'est-ce que tu penses de cette mélodie ? ' S'il l'aimait , il lui demandait de la rejouer et se mettait à écrire des paroles sur la musique , et un peu plus tard ils avaient quelque chose qui ressemblait à une chanson . Sam & Dave , c'était magique , mec , ils prenaient la balle au bond . Ils commençaient la session en jouant aux dès . Quand ils n'avaient plus d'argent , il créaient " . " On travaillait 24 heures sur 24 à cette époque , se rappelle Isaac Hayes . Je me souviens d'une fois où Otis Redding avait une session de prévue pour 3 heures du matin ; les Bar-Kays ( le jeune groupe noir instrumental qui avait succédé aux Mar-Keys ) débarquaient dans le studio quand ils avaient fini leurs concerts dans les clubs , et enregistraient toute la nuit . Carla Thomas , Al Bell , Otis Redding , David Porter et moi-même , nous avons passé plus d'une fois toute une nuit en studio à écrire et composer . Je n'avais pas de voiture , contrairement à David Porter , alors il passait me chercher avec Otis Redding à mon appartement . De temps en temps , en rentrant du studio , on arrêtait la voiture au bord de la route , Otis Redding sortait sa guitare et s'écriait : ' Hé , les gars , qu'est-ce que vous pensez de cet air-là ? ' Moi , David Porter et Otis Redding en voiture en train de travailler sur une chanson : tu imagines la scène ? " Quand Otis Redding entra en studio par une chaude journée de Juillet 1965 , il ne disposait plus que de 36 heures pour enregistrer un album avant de repartir en tournée . Le résultat de cette session fut l'album " Otis Blue " , salué presque instantanément comme un chef d'oeuvre , pour lequel dix morceaux ont été enregistrés en une période de vingt-quatre heures ." On a commencé par jouer de 10 heures à 18 heures , un Samedi , se souvient Donald " Duck " Dunn , et ensuite on est tous partis jouer en public jusqu'à environ 02 heures du matin ( je crois que je jouais alors à l' Hernando's Hideaway , avec Deanie Parker au chant et aussi Wayne Jackson ) pour finalement revenir finir l'enregistrement de 02 heures à 08 heures du matin .
Otis Redding jouait un rôle important dans le feeling Stax Records , et sa présence fut l'une des raisons qui expliquent que l'équipe soit restée soudée si longtemps . Tu vois , quand on passait six semaines , disons à n'enregistrer que des sessions de Blues ( Johnnie Taylor , Albert King ) , les choses allaient si mal , qu'à la fin les gars ne se pointaient même plus au studio , et qu'il fallait annuler la session . Finalement , on a décidé de ne plus enregistrer le Lundi : impossible d'arriver à quoi que ce soit le Lundi . Mais pour une session avec Otis Redding , personne n'était en retard . Accompagner Otis Redding était comme un accomplissement . Ca vous remettait d'aplomb pour quelques semaines , puis vous vous assoupissiez de nouveau " . " Otis Redding faisait vraiment travailler tout le monde , se souvient Jim Dickinson . Tu vois , ils en étaient arrivés à un point où plus personne n'osait avancer d'opinion négative en studio . Je veux dire qu'ils étaient arrivés à se contenter du plus mince compromis possible et s'en tenaient là . Otis Redding n'acceptait pas cela . Il poussait les choses toujours plus loin , et à chaque fois Al Jackson se mettait des serviettes de bain sous les bras . Il voulait que la section de cuivres joue près de lui , au sol ; il leur chantait leurs parties et coordonnait toute la session . Otis Redding avait un sens du vivant , du live , que personne d'autre dans ce label n'avait jamais eu " . Malgré tout , rien ne pouvait empêcher les petites fissures qui commençaient à apparaître de s'agrandir . Pour Rufus Thomas , de tout temps jaloux de sa position dans la compagnie et de l'estime dans laquelle on le tenait , l'arrivée de " songwriters professionnels " comme Isaac Hayes et David Porter sonnait le glas de la petite entreprise qu'il avait , d'après lui , aidé à démarrer à peine quatre années plus tôt . " Quelqu'un comme David Porter avait un putain d'ego , raconte Rufus Thomas . J'ai dit à David Porter : ' Toi , t'es toujours là à frimer . Où que j'aille , je te trouve toujours en train de te vanter d'être un super songwriter . Mais tant que t'as pas écrit un hit pour Rufus Thomas , t'es qu'une M...e ' . Et il ne m'a jamais écrit de hit " .
Rufus Thomas
Même quelqu'un d'aussi tempéré que William Bell reconnaissait que la situation comportait une réelle part d'injustice . " Je pense qu'aucun de nous , les pionniers , n'avons reçu notre dû ( moi y compris . On a vu qu'ils dépensaient des sommes d'argent pour les nouveaux artistes qu'ils n'auraient jamais dépensées pour nous , bien que nos ventes , elles aussi , fussent consistantes ) . C'est la seule source de jalousie que j'ai rencontrée chez Stax Records " . Homer Banks qui avait travaillé pour Estelle Axton au magasin de disques et à qui personne chez Stax Records n'avait donné sa chance comme songwriter avant l'arrivée d'Al Bell , envisage la situation d'un point de vue plus général . " Le plus important , c'était la différence entre les façons dont Miss Axton et Jim Stewart pensaient que Stax Records devait être administrée . Elle voulait que la compagnie reste sur des positions conservatrices un peu plus longtemps . Al Bell est arrivé , et tout a commencé à se développer ( vraiment très rapidement ) jusqu'à donner naissance à un monstre . Je pense qu'on aurait pu établir un meilleur équilibre . Je pense qu'il était nécessaire de se développer , mais qu'un certain conservatisme était également utile . La croissance est arrivée un peu trop vite " . Les fissures qui commençaient à apparaître sur la façade de Stax Records montraient peut-être avant tout que les enfants de la famille étaient en train de grandir . Ils ne pouvaient plus accepter la seule règle autoritaire de Jim Stewart , et tandis que le succès du label allait grandissant ( succès qui ne parut en aucun cas aussi important aux yeux des principaux intéressés qu'aux yeux du monde [ souvenez-vous : c'était le temps où les Beatles et les Rolling Stones exprimaient leur vive admiration pour le son Stax ] ) ; " nous vivions dans un cocon " , se plaint Booker T. Jones ( la justification standard selon laquelle ceci ou cela devait être fait " pour le bien de la compagnie " n'avait plus tout à fait le même poids qu'auparavant ) . Jim Stewart tenta de résoudre ce qu'il percevait à raison comme un problème interne à l'entreprise en créant ce qu'il appelait le Big Six , une équipe de production bénéficiant d'une certaine forme de partage des profits , et qui comprenait Steve Cropper , Booker T. Jones , Al Jackson , Donald "Duck " Dunn , David Porter , et Isaac Hayes ( auxquels viendra bientôt s'ajouter un septième larron , le producteur des Bar-Kays , Allan Jones ) . Comme l'explique Jim Stewart : " Ils avaient un salaire fixe , auquel venait s'ajouter pour tous un droit de regard sur les disques . Ils étaient impliqués dans la publication , et , bien entendu , David Porter et Isaac Hayes gagnaient énormément d'argent avec ce qu'ils écrivaient pour Sam & Dave . On avait l'équipe de base et les musiciens de studio , et on passait de plus en plus de temps à développer notre équipe d'auteurs , parce qu'on reconnaissait que même si l'on avait l'équipe de production et les artistes , il nous fallait de bonnes chansons . Si on parvenait à se procurer de bonnes chansons , on n'avait plus à se donner de limites . Et David Porter était plus ou moins chargé de développer l'équipe d'écriture . Vous voyez , à cette époque il n'était question que de coopération et d'implication totale , vraiment . Il n'y avait aucune limite imposée à l'apport de chacun , ni aucun frein à l'expérimentation . Il n'y avait pas parmi nous de producteur au sens qu'a pris aujourd'hui ce terme . Les crédits disaient juste : " Produit par l'équipe Stax " . Personne ne traitait la musique comme s'il ne s'agissait que d'un produit commercial . Bon Dieu , on ne savait même pas ce qu'était un produit ! On parlait d'un disque , d'un hit " . Bien que ceci ait été perçu rétrospectivement comme la cooptation cynique , opérée par Jim Stewart , de travailleurs qui n'ont jamais vraiment reçu la rétribution qu'ils méritaient , je pense que ses paroles peuvent être prises pour argent comptant , et il me semble inconcevable de douter de la sincérité de son geste à l'époque . En dépit de son succès rapide , Stax Records était encore un petit commerce , et comme n'importe quel petit commerce , il était la proie de rumeurs , de spéculations , et en particulier de ce que Jerry Wexler appelle " les petites circonvolutions raffinées des intrigues improbables de Memphis , la plupart imaginaires et fruits de la paranoïa " . Il était indéniable que Jim Stewart et Estelle Axton avaient des problèmes , que Packy Axton était un paria , et qu'Al Bell introduisait une toute nouvelle variable dans l'équation . Cela n'allait pourtant pas plus loin que les complications habituelles de la vie , et lorsque Jerry Wexler , que vénérait Jim Stewart et que tous voyaient comme le parrain bienveillant dont chaque succès de Stax Records portait la marque , bléssé dans son amour-propre , se retira du jeu après la troisième session de Wilson Pickett en Décembre 1965 , la famille Stax tout entière se serra les coudes et se mit à le considérer sous un jour nouveau , celui d'un exploiteur ou peut-être d'un " agent agitateur extérieur " . On a beaucoup spéculé sur les raisons exactes du retrait définitif de Jerry Wexler . L'explication la plus logique est peut-être simplement un nouveau problème de placement de la virgule décimale dans un nombre : Jim Stewart , enhardi par le succès de Stax Records et les ventes des singles de Wilson Pickett , demandait une plus grosse part du gâteau ou des royalties supplémentaires pour son studio et son équipe de production . D'après Wayne Jackson , " certaines des façons d'être et de penser new-yorkaises de Jerry Wexler ne faisaient pas vraiment bien le voyage jusqu'à Memphis . Jerry Wexler était quelqu'un de formidable , mais il était rapide , comme on l'était à NewYork , pour ramasser le pognon et tout ce genre de choses . Jim Stewart était formidable aussi , mais il était du Sud , et il était bien plus relax sur ces sujets " . Les explications de Jim Stewart ont toujours mis en avant le fait que Stax Records avait simplement trop à faire avec ses propres artistes , que l'équipe travaillait pratiquement 24 heures sur 24 , et que Stax Records n'avait plus de temps à consacrer à la production d'artistes extérieurs . Il ne fait pas de doute que cet élément ait joué , mais tout autant que la personnalité bien particulière de Wilson Pickett . Jim Stewart raconte que " les gars lui ont plus ou moins fermé la porte au nez . Wilson Pickett ne pouvait s'entendre avec personne , et ils m'ont juste dit : " Hé , ne ramène plus ce trou du c.l ici " . Jerry Wexler s'en alla donc , emportant Wilson Pickett dans son sillage , et Atlantic Records son accord de production naissant avec Stax Records . Les deux compagnies restèrent cependant en bons termes et n'interrompirent pas les arrangements très profitables de distribution . Stax Records continua de prospérer , et Jerry Wexler , sans vraiment prendre le temps de s'attarder en route , se dirigea tout droit vers Muscle Shoals .
Jerry Wexler , Sam & Dave et Al Bell ( left to right )
Quelques Stax Records # 9 : 30'16
La fin du rêve
Martin Luther King Jr. fut assassiné le 04 Avril 1968 , alors qu'il se tenait sur le balcon de sa chambre , au deuxième étage du Lorraine Motel , à Memphis . Etaient présents dans la cour du motel , en contrebas , le pasteur Jesse Jackson et Ben Branch , l'ancien chef d'orchestre de la Plantation Inn , à présent membre officiel du Chicago Musicians' Union et directeur musical au sein de l'Operation Breadbasket de la SCLC ( Operation Breadbasket est une organisation dirigée par Jesse Jackson et issue de la SCLC ' Southern Christian Leadership Conférence ' en 1962 . Son but était de faire pression sur les grandes entreprises Américaines pour qu'elles embauchent des Noirs et apportent leurs soutiens aux entreprises noires ) . L'impact de l'événement se fit sentir bien plus directement à Memphis et plus précisément à Stax Records . William Bell se rappelle qu'il était en studio le jour de la mort de Martin Luther King Jr. et n'a appris la nouvelle de son assassinat qu'une fois sa session terminée . Avec quelques autres musiciens noirs , il dut escorter Steve Cropper et Donald " Duck " Dunn jusqu'a leurs voitures au travers d'une foule hostile qui s'était formée à l'extérieur . Isaac Hayes et David Porter étaient eux aussi en studio , très probablement pour la même session . Ils sautèrent dans une voiture pour se rendre au Lorraine Motel , un endroit tenu par un Noir , connu de tous les musiciens et fréquenté par une bonne partie de ceux-ci . " En une minute on y était , se rappelle David Porter , mais on n'a pas réussi à s'approcher . Il y avait des milliers de personnes dans les rues . Partout . Le temps était suspendu " . " Je me suis senti vidé " , raconte Isaac Hayes . " Je n'ai pas pu écrire pendant un an , je me sentais tellement plein d'amertume et d'angoisse que je ne pouvais pas m'en sortir " . " Ce fut un moment décisif , lui fait écho Booker T. Jones , un moment décisif pour les relations entre les races dans le Sud . Et ça s'est passé à Memphis " . Les souvenirs de June et Donald " Duck " Dunn sont encore plus précis . Le lendemain de l'assassinat , Donald " Duck " Dunn est retourné au studio pour récupérer sa basse . " Je suis sorti de la voiture , tandis que June attendait à l'intérieur , et Isaac Hayes s'est approché de moi pour me parler . Tout d'un coup , des voitures de police ont surgi de nulle part , des policiers en sont descendus et on brandi leurs armes . Ils pensaient que ces Noirs allaient nous attaquer , puisque nous étions blancs . Ils ont brandi leurs revolvers sous le nez d'Isaac Hayes . On s'est tous sentis complétement idiots . En fait , c'était de notre faute , car nous n'avions rien à faire là ( il y avait des hélicoptères qui tournaient dans le ciel , c'était une zone hors limites , mais c'était là que nous vivions et travaillions , et on essayait de se comporter comme si tout était normal . Tout ça pour se retrouver dans cette m...e dès le lendemain... Tu comprends , les policiers ont accouru parce qu'on était blancs . On se sentait vraiment mal " . " Rien ne fut jamais comme avant à Stax Records " , ajoute lugubrement June . Rétrospectivement , on pourrait dire que tout avait déjà changé depuis un bon moment ( pas seulement chez Stax Records , mais dans tout le mouvement ) . La précaire politique de détente entre Noirs et Blancs , peu soucieuse de théories politiques ou musicales chez Stax Records , était sur le point d'exploser . Il fallait peu de choses pour bouleverser définitivement le fragile équilibre auquel était parvenue la musique de Memphis , et Stax Records devait surmonter non seulement les disparitions d'Otis Redding et de Martin Luther King , deux forts symboles d'espoir , mais également la vente , quasi contemporaine , d'Atlantic Records , événement qui se révéla traumatisant pour l'évolution de la compagnie , et faillit pousser définitivement Stax Records hors de l'industrie du disque. Atlantic Records avait annoncé en Octobre 1967 un " accord de principe " avec Warner Brothers-Seven Arts , accord qui consistait en l'absorption d'Atlantic Records dans le conglomérat , en échange d'un peu moins de vingt millions de Dollars cash et du rachat des actions . Les négociations se poursuivirent le mois suivant , et l'affaire était conclue le 24 Novembre . De nombreuses raisons furent invoquées pour justifier cette fusion , et sur le long terme , l'opération présentait des avantages indéniables tant pour Atlantic Records , dont la valeur augmenta de plus de cinquante millions de Dollars durant les premières années de la nouvelle association , que pour Ahmet Ertegun , fondateur d'Atlantic Records et son propriétaire à 42% , qui parvint sur sa lancée à exercer une influence sans précédent , quasi mystique , sur le monde de la Pop . Formules rhétoriques et explications rétropectives mises à part , Jerry Wexler fournit à tout ceci une explication succinte mais tout aussi pertinente que toutes celles avancées à l'époque par Atlantic Records . " On connaît tous les réponses standard qui évoquent les synergies , les horizons lointains à explorer , les vastes ressources des grandes corporations ( tout ça , c'est de la m...e en branche ) . Nous avons vendu Atlantic Records pour le rêve Américain : des gains en capitaux . Mon idée était de vivre au soleil et d'une certaine façon , confusément , je pensais que c'était ma chance et qu'il me fallait la saisir " . Jim Stewart a dû regarder tout cela avec une certaine perplexité , mais également , au moins dans un premier temps , avec une relative sérénité . Après tout , il était probable que rien n'allait changer : Jerry Wexler et Ahmet Ertegun faisaient toujours partie de la compagnie ; Stax Records était en pleine mutation ; les relations que le label entretenait avec Atlantic Records ne concernaient après tout que la disribution de disques . Certes , il allait falloir travailler selon les termes d'un nouvel arrangement : Jim Stewart avait en effet , dans un de ses rares moments de perspicacité en matière de législation ( bien qu'en l'occurrence , celui-ci dût se révéler assez peu judicieux ) , ajouter une clause personnalisée au contrat avec Atlantic Records . Celle-ci stipulait que le contrat serait immédiatement annulé ( après une période de six mois consacrée à la renégociation ) si jamais Jerry Wexler abandonnait ses parts dans la compagnie . Les négociations ne devaient cependant être qu'une formalité ; Jerry Wexler faisait de son mieux pour rassurer Jim Stewart : Stax Records , répétait-il , ajoutait de la valeur au catalogue D'atlantic Records ( Quelle Valeur exactement ? A présent , Jim Stewart voulait savoir ... ) ; et tout le monde disait partout que rien n'allait changer , que tout ne pouvait qu'aller en s'améliorant . Les certitudes de Jim Stewart n'allaient pas tarder à être ébranlées . Ebranlées d'abord par la mort d'Otis Redding , deux semaines après la signature officielle de la vente d'Atlantic Records . Qui peut savoir ce qui se serait passé si Otis Redding avait vécu , si les Kennedy et Martin Luther King avaient vécu ? Il était depuis longtemps évident que Jerry Wexler faisait la cour à Otis Redding , et on avait même dit qu'Otis Redding avait une clause dans son contrat qui engageait l'association durable de Jerry Wexler et de Stax Records , ce que Jim Stewart récuse fermement . Subtilités herméneutiques mises à part , il semble aller de soi qu'Otis Redding , le membre le plus précieux de la famille Stax , puisse très bien avoir été le seul élément capable de préserver l'intégrité des rapports entre Stax et Atlantic Records . Otis Redding disparu , les ventes , comme la confiance , étaient aux abonnés absents , et , alors que les négociations se poursuivaient , de plus en plus âpres , un nouvel élément apparut au grand jour , rajoutant une pierre à la douloureuse révélation , à double tranchant , du nouveau statut de Stax Records .
Otis' Plane Crash December 1967
Le label n'allait pas seulement continuer à exister sans Otis Redding , sans son coeur et son âme : Stax Records , comme Jerry Wexler en informa Jim Stewart dans un moment qui , même s'il s'agissait de bonne vieille realpolitik à l'ancienne et sans pitié aucune , n'en dut pas moins être chargé d'émotion , ne possédait même pas ses propres bandes masters . Atlantic Records détenait l'ensemble du catalogue Stax Records . Il est difficile d'imaginer l'effet que la nouvelle dut avoir sur Jim Stewart . Atlantic Records avait sans doute pensé là abattre son atout maître et Jerry Wexler supposait qu'une fois l'onde de choc dissipée , Jim Stewart allait rapidement accepter ses conditions . Si telle était sa pensée , il s'était lourdement trompé . Personne , à ce point de l'histoire , n'aurait été plus heureux de pouvoir rentabiliser ses acquis que Jim Stewart ; il aurait par-dessus tout aimé suivre la route qu'Atlantic Records avait tracée , faire en chemin , enfin , quelques profits en capitaux ( avec Stax Records , comme Atlantic Records , absorbé dans la grande famille des frères Warner ) , puis s'en retourner à la production de disques . Et voilà qu'à présent on lui disait qu'il n'avait aucun acquis à rentabiliser , que tous les disques qu'il avait déjà sortis ainsi que toutes les bandes masters inédites , étaient d'ores et déjà la propriété de Warner Brother-Seven Arts du fait de l'accord de distribution avec Atlantic Records , que tout ce qui lui restait finalement était un nom et les travaux futurs des artistes qu'il avait alors sous contrat . Le réveil fut rude . Ce qui devrait suffire à prouver , si besoin était , à quel point Jim Stewart et Estelle Axton étaient naïfs lorsqu'ils s'étaient engagés dans l'industrie du disque . Je pense que , dans leur excitation initiale au moment de la conclusion de leur partenariat avec Atlantic Records , il ne leur était pas même venu à l'esprit de se préoccuper de la propriété effective des bandes masters , et je doute fort qu'en six années d'association avec Atlantic Records , Jim Stewart ait jeté plus qu'un coup d'oeil rapide au bout de papier qui matérialisait un arrangement commercial " à l'amiable " . Aujourd'hui encore , il évoque à regret , mais apparemment sans réelle amertume , le " malentendu " qui a sonné abruptement le glas de cette association . " Ils n'avaient jamais investi , en tout et pour tout , dans Stax Records que 5.000 Dollars . Eh bien , cet instant fut pour moi une révélation : Hé ! Je travaille dans l'industrie du disque ! Personne ne me fera de fleur , et si je veux réussir là-dedans , il faut que j'ouvre l'oeil , le bon , et que je change quelque peu ma façon de penser ! " De son côté , Jerry Wexler nie fermement avoir eu de mauvaises intentions . " Je dois bien avouer que le contrat que nous avons passé avec lui n'était pas équitable , mais je n'avais pas réalisé au moment de signer que la propriété des masters revenait à Atlantic Records . Je ne l'ai découvert qu'au dernier moment . Les dés étaient pipés , et j'ai essayé de leur restituer leur catalogue , mais les avocats m'ont fait comprendre que je n'en avais pas le pouvoir . Qu'est-ce que vous voulez me faire dire ? Qu'on était trop malins pour eux ? Tant qu'on restait dans les règles , on n'avait rien à se reprocher " . Quelle que soit la vérité , le résultat est le même . Les négociations s'éternisèrent pendant plusieurs mois , en Décembre , Janvier et Février , mais Stax Records n'avait pas tellement les moyens de négocier , et Atlantic Records n'augmenta jamais sa première offre ( " J'étais totalement stupéfait qu'ils puissent se présenter devant moi avec une offre aussi ridicule " , déclare Jim Stewart ) . Dans l'intervalle , Jim Stewart avait de plus découvert que Sam & Dave , ses artistes les plus populaires , même du vivant d'Otis Redding , n'étaient pas la propriété de Stax Records mais celle d'Atlantic Records . Pour Jerry Wexler , cela " n'avait été qu'un plan conçu pour leur venir en aide . J'ai signé Sam & Dave chez Atlantic Records puis je les ai prêtés à Jim Stewart avec dans l'idée qu'il allait pouvoir les produire à Stax Records et tirer d'eux les mêmes bénéfices que pour n'importe quel autre artiste Stax . Mais je détenais toujours leur contrat , et je l'ai fait jouer quand Stax a décidé de se passer de nous " . Ce n'est pas du tout ainsi que Stax Records comprenait la situation . " Jerry Wexler avait donné Sam & Dave à Jim Stewart " , proteste avec quelque indignation Steve Cropper , faisant ainsi écho aux sentiments de Jim Stewart . " Après la séparation , il les a repris avec lui , et a complètement ruiné leur carrière . Jim Stewart se sentait écrasé , il avait l'impression d'être totalement dominé . Nous leur avions permis de survivre , et ils nous offraient si peu en retour... Quand nous n'avons plus voulu d'eux ( Atlantic Records ) , voilà qu'ils nous ont regardés avec leurs yeux de Juifs et qu'ils nous ont dit : " OK , nous allons reprendre Sam & Dave . Si ça , ce n'est pas un coup bas façon cour d'école..." Ce qui avait tout d'abord paru impensable s'imposa bientôt à tous : il devenait de plus en plus clair que Stax Records n'allait pas pouvoir conclure d'accord avec Atlantic Records . Dans un premier temps , Jim Stewart songea à devenir indépendant , et pendant la période de transition que représentait la durée des négociations avec Atlantic Records , il eut un avant-goût de ce qu'indépendance voulait dire . Finalement , il décida que le gain en capital et en réseaux de distribution qu'impliquait la vente de la compagnie à une major valait mieux que tous les avantages de cette indépendance . Estelle Axton fut alors commissionnée à New York pour en informer Atlantic Records . " J'étais là pour faire le sale boulot . C'était mon travail . Quand nous nous sommes décidés pour Gulf & Western Records , ils m'ont envoyée à New York pour récupérer notre contrat avec Atlantic Records le jour même où il expirait . Al Bell et mon frère , de leur côté , sont partis pour la côte Ouest afin de régler les détails de l'accord avec Gulf & Western Records " . Cet accord , d'après Estelle Axton , consistait en la vente de East/Memphis , la compagnie de publication de chansons de Stax Records pour la somme de 2.880.000 Dollars , à laquelle venait s'ajouter un nombre substantiel d'actions Gulf & Western Records . Mais à cette transaction raisonnablement honnête vint s'ajouter une nouvelle complication : Jim Stewart déclara qu'il voulait donner à Al Bell , vice président exécutif nouvellement nommé , 20% des actions de la compagnie de publication , soustraits à hauteurs égales des parts d'Estelle Axton et des siennes propres . Estelle Axton , de son côté , insiste sur le fait qu'elle allait abandonner 10% de ses actions sans aucune contrepartie , et que la moitié de ce pourcentage allait revenir à Steve Cropper . Finalement , Steve Cropper et Al Bell obtinrent tous deux la propriété de 10% des publications , tandis que des rumeurs infondées se répandaient dans le reste de la compagnie ( depuis les acteurs les plus proches de l'action comme Donald " Duck " Dunn et Booker T. Jones jusqu'aux plus anciens membres de la famille , William Bell , Rufus et Carla Thomas ) , selon lesquels Stax Records avait été vendu pour rien moins que 10.000.000 de Dollars , Al Bell avait pris le contrôle de la compagnie , que les anciennes amitiés n'allaient bientôt plus avoir court , et rien n'être plus jamais comme avant . En Mai 1968 , l'accord avec Paramount Pictures Music Division , filiale de Gult & Western Records , était conclu , et cet été-là , Stax Records modifia la numérotation de ses nouveaux disques .
Soul Limbo et Who's Making Love
Voici donc où en était Stax Records , six mois après la mort d'Otis Reding : Le label avait perdu son indépendance et son partenariat avec Atlantic Records , Al Bell prenait de plus en plus d'importance au sein de la compagnie et Estelle Axton était pratiquement sur la touche ( elle n'avait même plus le statut de cadre dans la compagnie et avait dû se battre pour obtenir une compensation de 25.000 Dollars par an pendant cinq ans comme condition de la vente ) . Pour la première fois , Jim Stewart commençait à montrer des vlelléités d'expansion au sein de l'industrie du disque , et les photos d'époque nous montrent comme un cadre " branché " du business , entre deux âges , arborant un bouc , habillé à l'occasion d'une veste rayée à la Nehru et d'un pantalon pattes d'éléphant , et ne laissant transparaître aucune tension , si ce n'était par des expressions imperceptiblement perplexes .
Jim Stewart
La description que donne Stanley Booth d'une fête organisée par Stax Records en l'honneur de Janis Joplin , dans l'appartement tout récemment décoré de Jim Stewart situé dans les quartiers Nord de Memphis , nous donne une idée de l'ambiance d'alors . " C'était la plus petite et la plus prestigieuse des fêtes données ces dernières années par l'un des acteurs du Memphis Sound : la famille Stax Records restait entre elle , n'acceptant que quelques invités triés sur le volet . Sur les tables étaient disposés de grands bols remplis de grosses crevettes roses , des plats de foies de volailles accompagnés de bacon , toutes sortes de sandwiches colorés de rouge et de vert , les couleurs de Noël , et les assiettes d'olives succédaient aux assiettes de bonbons et autres amuse-gueules . Certains invités s'asseyaient sur les canapés en peau de léopard , d'autres sur l'épais tapis rouge " . Ce n'étaient plus là les atours d'un homme dont la plus grande fierté aurait été d'enregistrer , en toute simplicité , quelques hits Rhythm 'n' Blues . Le studio Stax Records lui non plus ne cherchait plus à préserver l'ambiance détendue et sans prétention qui régnait jusqu'alors . Le petit disquaire avait depuis longtemps déménagé de l'autre côté de la rue , remplacé par un luxueux hall de réception au milieu duquel trônait une fontaine . Le bureau de Jim Stewart offrait de nouvelles fonctionnalités , comme un bar recouvert de peau de léopard ( surmonté d'un opulent nu couché féminin accroché au mur ) au beau milieu d'un décor digne d'un bordel . Les spéculations allaient bon train, la jalousie était de mise , et certains avaient vu en la mort d'Otis Redding un présage . Stax Records , à peine libéré , avait terriblement besoin de se prouver à elle-même sa viabilité ; pour beaucoup , la compagnie , à présent qu'elle n'était plus filiale d'Atlantic Records , se devait de se développer à une bien plus grande échelle qu'elle n'avait pu l'espérer auparavant . Sinon , on ne pouvait plus parler de succès . " Ils avaient terriblement envie de devenir une major , alors que tout ce qu'ils avaient à faire était d'enregistrer la musique qu'ils savaient faire " , expliqua Donald " Duck " Dunn à l'écrivain et photographe Van Wilmer . Ce fut dans ce climat que Stax Records mit en vente son premier disque distribué par Gulf & Western , à l'été 1968 . Ce premier single , intitulé avec assez d'à-propos " Soul Limbo " et interprété par Booker T. & The MG's , fut le plus gros succès du groupe depuis " Green Onions " .
Les disques suivants , d'Eddie Floyd , de William Bell et Judy Clay ou de Carla Thomas , furent tous des succès conséquents . Mais ce fut " Who's Making Love ( To Your Old Lady , While You Were Out Making Love ) " de Johnnie Taylor , qui établit une fois pour toute la nouvelle position de Stax Records sur le marché du disque : avec ou sans Atlantic Records , tensions ou pas , austérité ou ostentation , Stax Records était là , et bien là ( car la philosophie de Stax Records n'avait aucunement changé ) . L'histoire de Johnnie Taylor est une de ces success story dont Stax Records a le secret . Johnnie Taylor , qui avait remplacé Sam Cooke au sein du célèbre groupe de Gospel les Soul Stirrers , avait pris exemple sur celui-ci non seulement pour son chant , mais aussi pour sa carrière , notamment en suivant son mentor dans la musique profane sur SAR Records , le propre label de Sam Cooke et d'Alexander . Après la mort de Sam Cooke en Décembre 1964, et la dissolution de SAR Records qui s'ensuivit, il signa chez Stax Records et sortit plusieurs hits mineurs ainsi q'un album courageux qui cherchait à combler le fossé existant entre la Pop sophistiquée ( mélange de Rhythm 'n' Blues et Northern Soul ) de Sam Cooke et le Blues sophistiqué de Bobby " Blues " Bland , mais n'avait jamais approché le Top 10 Rhythm 'n' Blues avant ce " Who's Making Love " de l'Automne 1968 . " Who's Making Love " lança définitivement la carrière de Johnnie Taylor ( il s'en vendit entre deux et six millions d'exemplaires , selon la publicité que vous décidiez de croire , et c'était en tout cas à l'époque la meilleure vente jamais enregistrée par un single Stax Records ) , mais le plus important est ailleurs , comme l'explicite Stax Fax , la toute nouvelle revue promotionnelle de la compagnie .
Le Stax Fax
Ce fut pour Stax-Volt Records un " disque d'or " , au meilleur sens du terme : le label avait réussi en six mois une incroyable transition qui le vit passer du statut de simple compagnie de production à celui de fabriquant à part entière . Sacrée histoire que celle des mécanismes qui ont permis au disque de Johnnie Taylor d'atteindre le sommet des charts , c'est-à-dire celle de la transformation brutale de Stax-Volt Records . Deux hommes ( le président Jim Stewart et le vice-président exécutif Al Bell ) devaient bâtir un ' nouveau ' label , en partant de rien . Stax-Volt Records disposait encore de ses meilleurs artistes , mais c'était strictement tout . Un plan d'urgence pour la constitution d'une équipe et son installation dans de nouveaux locaux fut lancé . Des bureaux agrandis et un studio d'enregistrement sont en cours de construction . De nouvelles équipes ( promotion et comptabilité ) ont été recutées . Le service juridique travaille à présent à plein temps . Un programme publicitaire centré sur la presse grand public a été lancé . La réorganisation précipitée de l'administration interne de même que son financement , était supervisée par le président de Stax-Volt Records Jim Stewart ( adoubé de " Mr. Inside " ) , tandis que le vice-président exécutif , Al Bell ( " Mr. Outside " ) , s'occupait à galvaniser l'équipe chargée de la promotion et à consolider les relations fortes du label avec les stations de radio . Les deux premiers mois de la ' nouvelle ' vie de Stax-Volt Records furent passés à créer une organisation capable de gérer la publication de disques à succès autant que leur production . " Les résultats ne se firent pas attendre " , et , conclut l'article publicitaire de Stax-Volt Records , " furent un triomphe pour " ces valeurs communes " sur lesquelles est bâtie la Stax Organization : " la confiance , l'espoir , l'entraide et l'esprit d'entreprise " .
Jim Stewart et Don Davis
Une mention spéciale était également attribuée à un nouveau venu dans l'équipe , le producteur Don Davis , arrivé rédemment de Detroit avec de sérieuses références chez Motown Records , et à l'équipe de songwriters du cru ( Bettye Crutcher , Raymond Jackson et Homer Banks ) qui venaient de sortir eux-mêmes de l'ombre avec le succès de Johnnie Taylor . Aux yeux d'Homer Banks , ce n'était pas un hasard si cette , reconnaissance officielle survenait enfin au beau milieu d'une crise . Homer Banks , qui avait travaillé un temps dans le boutique du disquaire Satellite Records et qui fraînait autour de Stax Records depuis ce qui paraissait une éternité , comparait la philosophie de la " Famille Stax " à une arme à double tranchant . " A cette époque , c'était très difficile d'y entrer . Ce n'était pas aussi ouvert que beaucoup de gens le croient , et même s'ils pensaient savoir qui ils laissaient entrer , ils ignoraient en même temps qui ils laissaient à l'extérieur . Cependant , après " Who's Making Love " , ce ne fut plus pareil " . La réussite d'Homer Banks motiva d'autres auteurs-compositeurs , et les We Three ( " Nous Trois " ) , l'appellation sous laquelle le trio avait intégré Stax Records peu avant la mort de Raymond Jackson quelques années plus tard , jouissait d'un très grand succès , presque aussi grand que celui de l'équipe de vétérans formée par Isaac Hayes et David Porter . Homer Banks perçut également l'arrivée de Don Davis comme une avancée positive , un apport vraiment nécessaire de professionnalisme , à une époque où le professionnalisme était une denrée rare . " Don Davis était quelqu'un qui avait de l'expérience , qui savait lire entre les lignes , dans la pensée de ses interlocuteurs . Avec Al Bell et tous les autres , on avait l'impression qu'à chaque fois , ils se disaient presque ' Tirons donc à pile ou face ' . Ils savaient qu'ils disposaient d'un important vivier de talents , et ils savaient enregistrer des disques , mais , en même temps , ils n'y connaissaient rien en affaires . Don Davis savait comment gérer un gros business ; il avait l'expérience de Detroit " . Jim Stewart voyait sans doute les choses à peu près de la même façon . L'heure était venue de consolider ses profits , et Don Davis , un homme " basané , aux cheveux courts et ayant toujours l'air terriblement préoccupé " , comme le décrivait le reporter d' " Ebony " Phyl Garland , était quelqu'un qui n'avait jamais , depuis le premier jour , pris les affaires autrement qu'au sérieux . " Ployant sous le poids considérable de [ son ] succès initial , et de toute évidence anxieux de maintenir cet état de grâce , écrit Phyl Garland dans " The Sound Of Soul " , Don Davis affiche une mine maussade , ne sourit pas et donne l'impression de ne pas s'être accordé une seule nuit de repos depuis son arrivée à Memphis " . A en juger par la suite de la description de Phyl Garland , ses rapports avec les vétérans de Stax Records ne furent pas meilleurs que l'on pouvait sans doute s'y attendre , mais cet aspect du problème n'avait curieusement pour Jim Stewart aucune importance ( tout à son souci d'insister astucieusement sur le fait que Stax Records était une famille . " Je ne cherche pas à gagner un concours de popularité , insiste-t-il . Tout ce que je fais , je le fais pour le bien de la compagnie " . Le regard que porte Jim Dickinson sur cette époque est , comme à son habitude , un peu plus cynique . " Ils ne se sont jamais rendu compte de ce qu'ils avaient en main . Ils voulaient toujours ' autre chose ' . Quand ils ont embauché Don Davis , ils attendaient de lui qu'il produise des disques ' à la mode de Detroit ' , c'est pour ça qu'ils l'avaient engagé . Ils ne l'avaient pas fait venir à Memphis pour produire... Tu vois , qu'on le veuille ou non , il arrive toujours un moment quand je parle avec un journaliste où l'on ne peut plus éviter ce mot . Il existait un mot pour désigner ce qu'ils enregistraient , cette musique sur laquelle j'ai grandi ( et plus personne ne l'utilise aujourd'hui . C'était de la musique de Nègres ) et ils n'aimaient pas cela " . Pour Carla Thomas , le caractère insultant de la situation était encore plus évident . " C'était à Booker T. Jones d'être à la place qu'occupait Don Davis . La situation rendait Booker T. Jones très amer . Mais je ne pensais pas qu'on allait me faire travailler avec quelqu'un d'autre . C 'était comme s'ils s'étaient dit : ' Bon , les gens de Memphis seront toujours là , alors on s'occupera d'eux plus tard ' . J'ai pris la chose comme un affront , et j'étais là depuis les tous débuts . Ils abandonnaient les gens de leur ville natale à leur sort " . Steve Cropper , qui , jusqu'à la tournée européenne , un an auparavant , avait été de facto le directeur artistique de Stax Records , vit cela comme une intrigue montée par Al Bell , anciennement l'un de ses plus proches amis et alliés , pour faire exploser Booker T. & The MG's et consolider son propre pouvoir . " Je suis allé voir Al Bell après la vente , et je lui ai dit : ' Ecoute , voila ce qui se passe . Voilà les problèmes . Voilà ce qu'on est en train de faire , et ce n'est pas bien . Il va falloir changer certaines choses ' . Quand je suis sorti du bureau , avec un grand sourire aux lèvres , j'étais persuadé que tout allait bien se passer . Et puis j'ai commencé à entendre des rumeurs comme quoi il se serait rendu à Muscle Shoals pour essayer d'engager les misiciens de là-bas comme nouvelle section rythmique . Il ramena Don Davis de Detroit et le mit à la tête du décisionnel de la production , et ainsi de suite . Eh bien , dans tout ça , qu'arrive-t-il à Steve Cropper ? Tout ce que Steve Cropper avait fait , c'était d'être allé voir Al Bell et de lui avoir dit : ' Ouvre les yeux , nous connaissons des problèmes internes à Stax Records . Et si nous ne faisons rien pour les résoudre , nous allons nous retrouver vraiment en danger ' . Il n'a rien voulu entendre . Tout d'un coup , après avoir été son ami pendant si longtemps , je suis devenu l'ennemi d'Al Bell " . Avec sa lucidité habituelle , Carla Thomas conclut : " Dans tout cela , ils commençaient à perdre le sens moral " . Tout ceci n'était pas forcément visible sur le moment . Il se passait tellement de choses , les triomphes et succès historiques étaient si nombreux que la plupart des plaintes auraient très bien pu se retrouver emportées par la vague générale d'acclamations qui saluait chaque movement de la compagnie . Stax Records augmentait sa force de vente ; Stax Records s'installait dans de nouveaux bureaux modernes sur Avalon Street , loin de McLemore et de son quartier ; Stax Records signait les Staple Singers , trouvait en les Soul Children de dignent successeurs à Sam & Dave ; Stax Records cherchait ( une nouvelle fois ) à pénétrer le marché grand public en ressucitant sa filiale Hip Records et annonçait lors de la sortie de son deuxième disque sur cette filiale , celui du groupe blanc Southwest F.O.B. , que " Stax Records se met à la Pop et à l'Underground ! " ; Stax Records , annonçait-on , surmontait tous les problèmes impliqués par le travail en collaboration avec un grand conglomérat ; Stax Records allait de l'avant . Le climat ne se prêtait pas à l'auto-analyse , et quels que soient les grondements de mécontentement que l'on pouvait d'aventure percevoir , quelles que soient les réserves qui aient pu s'exprimer devant un tel optimiste béat , tout ceci était balayé d'un revers de la main et considéré comme des critiques lancées par des aigris , des erreurs de jugement de la part de gens qui , malgré leur bon fond , n'acceptaient pas le chamboulement qui accompagne immanquablement tout progrès . Il n'était pas aussi facile d'ignorer le courant de division raciale qui pour la première fois ( Jim Dickinson ne serait vraiment pas d'accord sur ce point ) menaçait l'harmonie de surface de la famille Stax .
Booker T. & The MG's
Quelques Stax Records # 10 : 27'54
Chacun se souvient du moment où la vérité lui sauta aux yeux . Isaac Hayes raconte que , pour lui , cela c'était passé lorqu'un Steve Cropper légèrement éméché lui avait révélé l'arrangement spécial qui le liait à Jim Stewart . " Steve Cropper était à la botte de Jim Stewart . Quand celui-ci cherchait quelqu'un , c'était toujours Steve Cropper . David Porter et moi étions déjà producteurs dans les faits avant même de nous rendre compte que nous savions produire , et ce soir-là , je lui ai dit : ' Mon pote , on ne gagne pas d'argent ' . Et il a répliqué : ' Tu vois , nous sommes tous producteurs . On devrait demander plus d'argent ' . Nous nous sommes dit : ' Vraiment ? On est vraiment producteurs ? Et c'est à partir de ce moment-là que nos salaires se sont mis à augmenter " . De son côté , Booker T. Jones découvrit que Steve Cropper touchait un pourcentage de la compagnie au moment de sa vente . Donald " Duck " Dunn se rappelle avec regret que le batteur Al Jackson , un de ses meilleurs amis , lui adressa à peine la parole pendant plusieurs mois , jusqu'à ce que Donald " Duck " Dunn aille le voir pour lui parler ouvertement de ce problème . " J'ai finalement réussi à le coincer entre deux portes , dans un avion pour l'Europe . Je lui ai demandé ce qui n'allait pas . Il m'a dit qu'il avait entendu dire que je ne travaillais avec eux que pour l'argent , et que je disais du mal d'eux dans leur dos , que je les appelais ' Nègres ' et toute cette m...e . Je lui ai répondu : ' Al , je ne sais pas comment on peut s'en sortir , c'est trop puéril ( mais si j'ai dit tout cela , que Dieu foudroie immédiatement ma femme et mes enfants ) . Tu comprends , personne ne parlait directement à personne à cette époque , personne ne prenait la peine de demander : ' Hé , fils de p..e , c'est quoi ton problème ? Pourquoi on ne peut plus se parler ? ' La seule confrontation que j'ai eue , c'était avec Al Jackson , et après ça , on est redevenus les meilleurs amis du monde . Mais durant toutes ces années-là , il y avait toujours quelqu'un pour te laver le cerveau , pour te dire : ' Lui , c'est un trou..c . Lui , c'est un gars bien ' . Mais on ne savait pas vraiment qui était le bon et qui était le méchant , et je n'ai jamais résolu ce problème . Si on veut vraiment se creuser les méninges , on en revient toujours à ce bon vieux Al Bell " . Peut-être que tout cela se résumait non à des problèmes de race , mais bien plutôt à des problèmes politiques . C'était à présent Al Bell qui tirait les ficelles , et les réactions qu'il provoquait étaient décidément partagées . Quand Jim Stewart était aux commandes , il pouvait toujours servir de cible à toutes les critiques ; Jim Stewart était " l'homme qui se tient le menton " , l'exutoire tout désigné des rancunes de chacun . Al Bell , comme le suggère Donald " Duck " Dunn , était bien plus charismatique mais faisait aussi beaucoup moins l'unanimité ( un homme doté d'un immense charme personnel qui ne s'interdissait pas d'utiliser ce charme pour provoquer des rivalités internes , tout en restant dans le même temps loyalement fidèle à lui-même . Jim Stewart voyait en lui un grand professionnel du disque , ce qu'il était ) , vendeur brillant , auteur et producteur doué , promoteur de disques de premier ordre . C'était certainement pour Jim Stewart autant de bonnes raisons de laisser les rênes de la compagnie à Al Bell ( culpabilité libérale , son propre manque de personnalité et son désir de rester dans l'ombre des feux de la rampe , etc . ) . Mais il se rendit bientôt compte qu'il y avait un revers à la médaille : ces mêmes qualités qui faisaient d'Al Bell un vendeur exeptionnel firent de lui le responsable désigné aux yeux de Jim Stewart de tous les pics négatifs des ventes . ( " Il attirait les escrocs comme le miel attire les mouches , déclarera rétrospectivement Jim Stewart ; on aurait dit qu'ils affluaient tout naturellement vers lui . Al Bell ne faisait aucune différence de couleur ; n'importe qui pouvait lui faire avaler n'importe quoi " ) . Finalement , ce devait causer sa perte , autant que celle de la compagnie . Johnny Baylor cristallisa tous les problèmes de race et de personnalité de la compagnie . Il arriva à Stax Records pendant l'été 1968 , lorsqu'il rencontra Al Bell à New York et conclut avec lui un accord de distribution pour le compte de Koko Records , un petit label dont il s'occupait depuis 1964 et qui n'avait à l'époque qu'un seul artiste à son catalogue .
Johnny Baylor
Johnny Baylor était de toute évidence un homme ambitieux , et son artiste , Luther Ingram , un chanteur doué qui poursuivit sa carrière pour connaître plus tard l'un des plus gros succès de Stax Records durant les années 70 " ( If Loving You Is Wrong ) I Don't Want To Be Right " . Le rôle que joua Johnny Baylor dans l'histoire de Stax Records ne se limite cependant pas à une contribution artistique ou même conventionnellement commerciale . Voici le portrait que Johnny Baylor dresse de lui-même et de son protégé dans un communiqué publicitaire Stax Records publié peu après son arrivée à Memphis .
Luther Ingram , peut-on lire dans ce document de cinq pages , faisait montre d'une " philosophie néo-existentielle qui s'enracine dans l'empirisme " , tandis que Johnny Baylor , " penseur béni des Dieux " , était décrit comme " un homme à la peau sombre , grand et imposant , [ qui ] n'a rien du cadre type , style chemise blanche et cravate noire . Sa façon de s'habiller et sa personnalité , comme celles de Luther Ingram , témoignent d'une aspiration sensible à la liberté d'exploiter ses talents à leur plein potentiel . Johnny Baylor , un esprit libre , sait que l'expérience est la meilleure source d'apprentissage et de sensation . Il a passé le plus clair de son temps à voyager ( 1958-1963 ) dans toutes les grandes villes d'Europe... " . " Quand j'ai rencontré Luther Ingram , déclare-t-il , nous nous sommes tout de suite très bien entendus . Nous avons pu établir un système de coopération tant dans la vie que devant la loi . Vous voyez , ' coopération ' est devenu notre credo " . " Les ' Noirs ' ", conclut Johnny Baylor dans ce texte publicitaire , " ont toujours su que la musique pouvait être aussi divertissante que profitable , mais ils n'ont jamais eu accès à la part ' profitable ' de la chose . A présent , ils peuvent participer à tous les aspects des activités musicales " .
Certains de ses camarades de Stax Records eurent sans doute du mal à reconnaître Johnny Baylor dans cet autoportrait méticuleusement construit , ou , s'ils y parvinrent , ce ne fut que par déduction , à partir de son elliptique conclusion . A leur yeux , Johnny Baylor était , assez simplement , un " homme de main " , nécessaire ou non selon les points de vue , mais en tout cas un néo-existentialiste bardé de muscles . Estelle Axton avait une peur bleue de Johnny Baylor et de son garde du corps , tandis que Carla Thomas se demandait si quelqu'un n'avait pas convaincu Jim Stewart qu'il ne pouvait plus demeurer en sécurité à McLemore sans une certaine forme de protection . Ce point de vue est essentiellement exact , déclare aujourd'hui Jim Stewart , à ceci près qu'il n'eut besoin de personne pour le convaincre . La situation elle-même suffisait . " Nous avons engagé Johnny Baylor parce que nous avions des problèmes avec des voyous du quartier . Nos employés étaient la cible de tentatives d'intimidation et étaient harcelés , on les menaçait de racket ( les beaux jours étaient passés . Quand on est allé voir le FBI , ils nous ont dit : ' Allez vous faire f....e ' , alors j'ai dit à Al Bell : ' D'accord , on va se débrouiller tous seuls ' . Johnny Baylor clarifia la situation , en se contentant d'être là et faire ainsi peur à ces voyous . Lui et Boom Boom ) . J'adorais ce mec , mais , bien entendu , une fois que vous vous engagez sur cette pente , vous vous retrouvez confronté à un autre problème " . Bien que personne n'ait vraiment envie de parler de Johnny Baylor ( " J'ai refusé de m'engager là-dedans , déclare David Porter . C'est pour ça que je suis encore jeune et beau " ) , tout le monde se souvient de Dino , son garde du corps , dont le vocabulaire mono-syllabique se résumait à un seul mot ( " Boom " ) , qu'il utilisait pour exprimer des choses aussi variées que l'amour , la haine , l'assentiment , le refus tranché , la prière ou l'interdiction . Langage restreint ou pas , Dino , aussi appelé Boom Boom , savait attirer votre attention .
Johnny Baylor ( left ) et Dino Woodard " Boom Boom " ( right )
Jimmy Johnson se souvient d'une session Stax Records à Muscle Shoals bien particulière : " Dino s'est laissé tomber et s'est mis à faire des pompes , vingt ou trente pompes sur un bras , en faisant de grands ' uhhh ' ( on aurait dit qu'il allait nous tuer , et nous étions en plein milieu d'une prise ) . Ce genre de choses foutait en l'air notre concentration ; Dino était là à faire des pompes et à nous regarder l'air de dire : ' Tiens-toi à carreau , mon gars ! ' Je crois que c'était un ancien lutteur professionnel . Tu te rappelles du nombre de gens qui disaient ' Wow ! ' à tout bout de champ à l'époque ? Eh bien , Dino disait ' Boom ! ' tous les trois ou quatre mots , pour accentuer ses propos " . Steve Cropper se rendit compte après-coup que si Al Bell l'avait si brutalement écarté , c'était peut-être pour une raison liée au simple désir de rester en bonne santé . " Il est possible qu'Al Bell ait été forcé de faire beaucoup de choses qu'il n'avait pas envie de faire . S'il s'est retrouvé à l'époque avec un pistolet sur la tempe , il va sans dire qu'il a très bien pu raconter tout et n'importe quoi à Steve Cropper , son meilleur ami , pour me protéger , lui , sa famille , ou la compagnie . Aujourd'hui encore je n'ai pas de réponse à cette question " . Tout le monde ne jugeait cependant pas l'influence de Johnny Baylor négative sur la compagnie . Eddie Braddock , un responsable promotion persuasif connu sous le sobriquet de " Super Whitey " ( " Super Petit Blanc " ) , pense que " Stax Records avait gagné en considération " , et qu'en plus " Johnny Baylor était très , très gentil avec ( lui ) " . Le placide Homer Banks , peut-être le porte-parole le plus diplomatique de la nouvelle génération Stax Records et le co-auteur des grands succès de Luther Ingram , sentait que dans un monde qui ne favorise pas le faible , Johnny Baylor renforçait de façon nécessaire la position de la compagnie . Homer Banks conclut cependant : " Johnny Baylor était un obstacle plus qu'autre chose , mais il y eut un temps où il était vraiment nécessaire à Stax Records . Il fallait passer en radio plus de disques que quiconque auparavant , et les gens de l'industrie du disque ont fait montre de plus de respect envers Stax Records lorsque Johnny Baylor était là , parce qu'auparavant ils pensaient que les gens de Stax Records étaient trop gentils . Quand Johnny Baylor est arrivé , ils y ont regardé à deux fois , mais je pense qu'il en a fait plus que nécessaire " . Je crois deviner que c'est Homer Banks qui est le plus près de la réalité . Al Bell , théorise Homer Banks , est arrivé originellement " à travers le Mouvement des Droits Civiques . De ce fait , il avait une très grande influence . Il pouvait faire des choses que Jim Stewart ne pouvait pas faire , et Jim Stewart reconnaissait cela " . Selon la même logique , Johnny Baylor , " Soul Brother " encore plus dur , pouvait faire des choses qu'Al Bell ne pouvait pas faire tout en sentant qu'elles devaient être faites . Et Al Bell pensait très probablement , comme Jim Stewart avant lui , qu'il pouvait contrôler ce nouvel élément qu'il venait d'introduire , tout volatil qu'il fut . Comme l'affirme Homer Banks en conclusion : " Il faut bien tenter sa chance . Si tu rates la marche , tu te casseras la figure , mais c'est là tout l'enjeu du développement d'une entreprise " . En tout cas , Stax Records prospérait , avant comme après l'arrivée de Johnny Baylor . " On va tout faire pour être éternels ! " jubilait Stax Fax , en plein milieu d'un contenu éditorial de plus en plus ambitieux , et de plus en plus politisé : une reimpression de Black Manifesto du SNCC ( " Toutes les routes doivent mener à la révolution " ) , de retentissantes professions de foi de Julian Bond et Coretta King , des articles sur Martin Luther King , l'avortement , l'éducation sexuelle et les stéréotypes raciaux ( on pouvait y lire des titres provocateurs comme " Le Sexe est-il à l'origine du racisme ? " ) , en plus des traditionnelles biographies et des manifestations d'autosatisfaction inhérentes à ce type d'action promotionnelle . En Mai 1969 , un an après la nouvelle association avec Gulf & Western , lors d'une démonstration de force dont Jim Stewart admet qu'elle était " quelque peu en désaccord avec la philosophie que je professais jusqu'alors " , Stax Records organisa à Memphis une convention , annoncée à corps et à cris , destinée à célébrer la sortie simultanée de vingt-sept singles et de vingt-sept albums ( en fait , l'un des albums , celui de Rufus Thomas , n'était représenté à la convention que par sa pochette ( brimade délibérée , vous dira amérement Rufus Thomas , à l'encontre de l'homme qui avait été l'un des piliers de la compagnie . Un quart de millionde Dollars fut dépensé en frais de transport pour les journalistes venus du monde entier , en boissons , en dîners ) bref , tout fut fait pour les convaincre que Stax Records avait réussi . Ce genre d'entreprise démesurée aurait très bien pu se retourner contre ses commanditaires et exclure Stax Records du business , mais au lieu de ça , comme tout ce que Stax Records entreprit durant les années 60 , elle atteignit son but avec une efficacité quasi irrationnelle . En Janvier 1968 Stax Records crée un nouveau label , Enterprise Records et édite " I Was Born To Love You " de Shirley Walton ( Enterprise Records 45-001 ) .
La musique valait le dérangement , l'occasion était mémorable , et les ventes réalisées ensuite par certains disques justifiaient à elles seules tout ce battage . Ce qui rendit l'événement unique , cependant , outre sa taille , fut un album dont personne ne croyait avoir à se vanter , oeuvre d'un artiste auquel personne jusque-là ne prétait attention ( du moins pas comme artiste ) . Cet album allait se vendre à plus d'exemplaires qu'aucun autre disque dans l'histoire de Stax Records .
Hot Buttered Soul , par Isaac Hayes , avait tout de l'essai de la dernière chance pour un songwriter-producteur que l'on avait découragé ne serait-ce que de songer à devenir lui-même chanteur ( et dont le seul album à cette date , " Presenting Isaac Hayes " , avait été enregistré en une fois , un peu par hasard , après une longue nuit de beuverie en studio par un petit trio Jazz qui comprenait , outre Isaac Hayes , Al Jackson et Donald " Duck " Dunn ) . " Hot Buttered Soul " n'avait même pas été enregisté à Stax Records , mais au studio Ardent Records , à l'autre bout de la ville , car le studio d'East McLemore n'avait pas de temps à consacrer à Isaac Hayes . Et il fut enregistré quasiment sans supervision . Isaac Hayes avait interprété " By The Time I Get To Phoenix " sous la forme d'un Rap à rallonge dans un club local , et un DJ Pop du nom de Scott Shannon lui avait dit " Mec , pourquoi tu n'enregistres pas ça ? " Ca m'a traîné un moment dans la tête , et quand Al Bell me passa commande d'un album , j'ai mis " By The Time I Get To Phoenix " dessus . Je ne savais pas du tout que j'allais lancer une mode ; je ne m'attendais absolument pas à son succès . J'avais fait ça egoïstement , parce qu'on me donnait l'opportunité de faire quelque chose dans une liberté totale , je n'avais à me préoccuper de rien , puisqu'il y avait vingt-six autres albums pour supporter toute la pression " . Le disque fut triple album de platine . La chanson dépassait les dix-huit minutes ( précédant de trois ans les passages parlés soyeux de sincérité sexy de Barry White ) , les arrangements orchestraux étaient différents de tout ce qu'avait fait Stax Records jusqu'à présent ( et également plus coûteux ) , mais après la sortie du disque , Stax Records découvrit qu'Isaac Hayes n'était signé qu'en tant qu'auteur , et non en tant qu'artiste . D'après Isaac Hayes , il ne fit aucun problème , et la signature ne fut qu'une formalité . " J'ai juste dit à Jim Stewart , quand il est venu me supplier de signer , que je signais uniquement parce qu'Al Bell me l'avait demandé . J'aurais pu me la jouer perso , j'aurais pu obtenir tout ce que je voulais , mais je suis quelqu'un de loyal , j'ai l'esprit d'entreprise , tu vois ? Alors je n'ai rien demandé , seulement qu'on juge Al Bell à sa juste valeur , et qu'on lui donne le gouvernail . J'ai donné beaucoup de pouvoir à Al Bell " . Qu'Isaac Hayes ait eu ou non autant de pouvoir à conférer , son nouveau contrat et son succès mirent au jour encore plus clairement les séparations de fait qui s'étaient développées au sein de Stax Records . Puisqu'il n'était pas sous contrat au moment où il enregistrait ce disque , les accords de production en vigueur chez Stax Records ne s'y appliquaient pas non plus . Selon ces accords , chaque album devait être crédité non à un producteur individuel mais à l'équipe Stax Records ( " La chose la plus grave qui est arrivée à Stax Records , déclare succintement Donald " Duck " Dunn , c'est l'apparition du mot producteur " ) , et le fruit du travail de production était partagé équitablement entre chaque membre de ce qu'on appelait " Big Six " ( Isaac Hayes , David Porter , Booker T. Jones , Steve Cropper , Al Jackson et Donald " Duck " Dunn ) ( cette sorte de partage des profits s'appliquait que l'on ait participé ou non à la session en question ) . Donald " Duck " Dunn se montra plus tard critique envers la participation accordée à Isaac Hayes et David Porter dans les albums de Booker T. & The MG's : " Ils avaient touché leur sixième de " Hip Hug-Her " , de " Groovin' " , de tous ces trucs avec lesquels ils n'avaient rien à voir . Et puis Isaac Hayes a sorti ce " Hot Buttered Soul " . Et tout d'un coup , comme c'était sur le label Entreprise Records ( autre filiale de Stax Records ) , on n'a rien touché . Il les a choppés par le c.l . Il n'avait même pas de contrat . Mais à Isaac Hayes , tout était permis . Je vous garantis que ça ne se serait pas passé comme ça si Isaac Hayes y avait pu quelque chose ( mais je pense qu'il n'en savait rien : quand on est allés demander notre pourcentage , tout d'un coup , le ton avait changé du tout au tout ) . Et m...e ! Tu vois , on a tous sauté au plafond sur ce coup-là . Tous ! Si une chose a jamais fait l'unanimité chez Booker T. & The MG's , ce fut bien celle-là " . Cette unanimité ne dura pas , et l'épisode n'améliora pas les rapports entre Isaac Hayes et David Porter . Après tout , David Porter en était autant de sa poche que Steve cropper ou Booker T. Jones ; et , histoire d'ajouter l'insulte à l'offence , c'était à lui que depuis toujours on promettait la célébrité . Conséquemment , David Porter se lança de son côté dans une carrière d'artiste solo ( et Isaac Hayes et David Porter ne récrivirent plus jamais ensemble ) .
Isaac Hayes et David Porter
" Je n'aimais pas ce qui se passait " , précise Jim Stewart , dont la litote dénote le recul pris . " D'un point de vue strictement commercial , pourquoi dissoudre une équipe qui marche ? Je n'ai jamais pu comprendre ça . Mais les gens sont ainsi . J'avais toujours gardé dans un coin de ma tête l'idée que nous étions une famille . Ce n'était que naïveté de ma part " . Booker T. Jones fut le premier à partir . Il s'éloignait déjà depuis quelque temps , en fait depuis la vente de la compagnie , et ce dernier événement fut tout simplement le coup de grâce . Récemment divorcé et à présent remarié avec la soeur de la chanteuse Rita Coolidge , Priscilla , Booker T. Jones jette un regard sombre sur l'évolution des rapports raciaux dans le Sud en général et au sein de Stax Records en particulier . " Tu vois , il y a certaines structures qui sont là , et qui seront sans doute toujours là , que vous ne pouvez pas changer . Et l'une d'elles a quelque chose à voir avec le pouvoir que peut obtenir un Noir " . En 1969 , il déménaga pour la Californie avec sa nouvelle femme et ses parents , tournant le dos à Memphis , à Stax Records et aux MG's après leur avoir proposé un nouveau contrat avec A&M Records , qu'ils refusèrent . La tentation fut grande pour Steve Cropper , Donald " Duck " Dunn et Al Jackson . Al Bell venait d'annuler leur participation à l'enregistrement de l'accompagnement du " Bridge Over Troubled Water " de Simon & Gartfunkel , car , raconte Steve Cropper , il avait des projets de plus grande envergure pour Stax Records , et Steve Cropper avait l'impression que c'étaient ses moyens de subsistance qui étaient menacés . " Mais , tout comme Al Jackson et Donald " Duck " Dunn , je n'avais pas envie de tout laisser tomber , de quitter Stax Records et de partir en Californie . Booker T. Jones nous a dit : ' Hé , les gars , je nous ai dégotté une bonne affaire là-bas , si jamais vous êtes intéressés ' . Je ne pense pas que c'était de ma faute , et ce n'était certainement pas celle de Booker T. Jones , qui a bien fait de tenter sa chance . Mais je ne me voyais pas quitter Stax Records " . Donald " Duck " Dunn et Al Jackson , l'esprit d'entreprise encore chevillé au corps , ne se voyaient pas non plus quitter Stax Records , et ce fut la fin de Booker T. & The MG's , à l'exception de quelques enregistrements studios épars et d'un revival tardif aux côtés de musiciens de substitution . Booker T. Jones , de son côté , laissait derrière lui toute une partie de sa vie . Toujours aussi orgueilleux et ayant acquis un peu de distance , il est devenu de plus en plus amer et voit à présent Stax Records comme " un commerçant blanc dans un quartier noir " , qui était installé là depuis des années et qui était peut-être d'abord assez amical , mais qui n'en méritait pas moins le châtiment qui allait s'abattre sur lui . D'autres partageaient ce sentiment d'aliénation . Estelle Axton , à qui il avait été interdit , lors de l'accord de vente , de s'investir dans un projet extérieur lié à l'industrie du disque , avait elle aussi perdu sa place dans le nouveau Stax Records . " Je ne pouvais même plus travailler chez le disquaire . J'étais censée travailler dans un bureau , ' superviser la publicité ' . En fait , on avait déjà un directeur de la publicité , tout était prévu , et il ne me restait rien à faire , si ce n'est rester assise et regarder mes quatre murs ( ce qui n'était pas dans mon tempérament ) . Finalement , j'ai dit : ' Laissez-moi sortir d'ici ! ' " Rufus Thomas parle avec mépris de ces nouveaux venus qui ne savaient rien des origines de l'histoire de Stax Records , et prétend que son fils Marvell fit un jour face à un Johnny Baylor qui pointait un révolver sur lui . " Mon fils lui a juste dit : ' Tu n'auras pas les c......s de tirer . Tu ne descendras personne ' " . Et Marvell Thomas survécut une séssion de plus . William Bell , depuis toujours observateur avisé , ne fait pas injure à sa réputation lorsqu'il identifie les problèmes qui accompagnent n'importe quel succès personnel . " Ca nous est arrivé à nous , comme ça arrive à tout le monde . C'est comme lorsque tu travailles dur pour arriver à sortir un tube , parce que tu veux être reconnu aux yeux du monde et toucher l'argent qui va avec cette reconnaissance : mais ça t'attire de nombreuses migraines , et ça te prend tellement de temps qu'ils ne t'en reste plus pour toi ( il y a toujours quelque chose à faire ) . C'est pareil avec les grosses entreprises . Les hits , tu les as , et les millions aussi , et tu gagnes des maisons , des voitures et tout ça , mais tu n'as pas le temps d'en profiter car tu es toujours sur la brèche . Chez Stax Records , on était tellement occupés à gagner notre vie qu'on ne pouvait pas vivre . Tu te bats tellement pour avoir du succès , et quand tu y parviens enfin , tu ne peux qu'être déçu , car tu te rends compte de ce que signifie réellement le succès . C'est quelque chose qui arrive à tout le monde , une étape que chacun rencontre au cours de son développement " . En Juillet 1970 , insatisfaits de la marge de manoeuvre que leur laissaient les contraintes d'une grande entreprise , et confiants en la possibilité de répéter une nouvelle fois leur succès , Jim Stewart et Al Bell rachetèrent la compagnie avec l'argent emprunté à Deutsche Grammophon Records , abandonnant à Gulf & Western Records deux agréables millions de Dollars de bénéfice pour prix de son passage dans le business de la Soul Music . Jim Stewart et Al Bell se partageaient à présent à égalité la propriéte de Stax Records .
Quelques Stax Records # 11 : 26'35
Ce qui arrivait à Stax Records n'était pas vraiment un phénoméne isolé , même si les problèmes de croissance que devait affronter le label étaient uniques en leur genre . A Memphis , le label Goldwax Records s'eteignit dans la confusion en 1969 . Les deux propriétaires en étaient venus à se détester ; leur principal artiste James Carr , était tombé dans un état proche de la catatonie ; les mentalités raciales changeaient rapidement , tant à Memphis qu'à l'étranger ; dans quelle direction un petit label comme Goldwax Records ( qui comme Stax Records , ne contrôlait même pas son catalogue ) pouvait-il s'engager ? Un nouveau label , Sounds Of Memphis Records , traversa brièvement l'univers du disque au début des années 70 ; il réunissait une partie de la famille Goldwax Records ( Roosevelt Jamison , Richard Snaders et Earl Cage , plusieurs artistes et Seymour Rosenberg , avocat de Memphis , spécialisé dans le business de la musique et apparemment doté du don d'ubiquité ) , mais , malgré le haut patronage de Jerry Butler ; il retourna bientôt au néant . Pendant ce temps , le Studio American Records de Chips Moman voyait son succès grandir année après année tout en s'éloignant de plus en plus du Rhythm 'n' Blues de ses débuts et cher aux coeurs de ses principaux collaborateurs . Au cours des quelques années précédentes ( en fait depuis que Dan Penn avait enregistré " The Letter " des Box Tops en 1967 ) , le studio avait enchainé tube sur tube ( 118 selon certains , 122 selon d'autres ) se classant dans les hit-parades Pop , Rock et Rhythm 'n' Blues . A la fin de l'année 1968 , Chips Moman lança son propre label , AGP Records ( American Group Productions ) , tandis que Dan Penn , pour ne pas être en reste , quitta peu après AGP Records pour créer sa propre compagnie de production , sa maison d'édition de chansons et son studio Beautiful Sounds Records . Au vu du flot d'annonces triomphales de ventes , débordantes d'autosatisfaction , de la majesté des Memphis Music Awards institués en 1971 et de l'impressionnant volume d'échanges commerciaux réalisés , on aurait pu penser que la musique de Memphis était à l'orée d'un nouvel âge d'or . Et la catastrophe l'attendait pourtant au coin de la rue ( le dénouement de notre histoire devait être aussi dramatique que la rapide ascension de ses protagonistes et dépendre aussi étroitement qu'elle de la même combinaison d'insécurité , d'indépendance et de xénophobie ) . Quoi qu'il en soit , les causes de la séparation de Dan Penn et de Chips Moman furent bien plus prosaïques : problèmes d'argent , problèmes de crédits artistiques , bref , le même genre de querelles intestines sur lesquelles on se cassait traditionnellement les dents à Memphis . Stax Records continuait à se battre . Jim Stewart et Al Bell ayant repris possession du label en 1970 , la compagnie entra dans une nouvelle phase de son existence . En moins d'un an , grâce à l'aide apportée par l'union Planters National Bank de Memphis , Jim Stewart et Al Bell avaient remboursé leur principal appui financier , Deutsche Grammophon Records : s'ils n'avaient pas réussi à réunir la somme empruntée , plus un million de Dollars d'intérêts , la firme serait entrée à 45% dans le capital de Stax Records . Le label était à présent vraiment indépendant . Seul problème : Jim Stewart voulait partir ! " Tout ça m'a fatigué , c'est tout . J'avais passé deux ans à ne rien faire d'autre que négocier , et j'avais négligé la compagnie . Deux ans d'allers retours entre New York et la Californie , ça m'avait vidé . J'avais un bon salaire , mais je voulais me remettre à la production , planifier , faire toutes ces choses dans lesquelles j'étais le meilleur . Alors j'ai dit à Al Bell : ' Tu vois , je veux me retirer une fois pour toutes . Je ne veux pas d'actions . Je ne veux pas de papiers . Je veux du cash ' . Je voulais enfin toucher mes gains en capital " . C'est ainsi qu'Al Bell se retrouva à faire affaire avec Columbia Records . Au début de l'année 1972 , Al Bell prit contact avec Clive Davis , de Columbia Records . Celui-ci , d'après Jim Stewart , aurait aimé acheter Stax Records mais en était empêché par les lois antitrust . Au lieu de cela , il mit au point un accord de distribution selon les termes duquel Stax Records obtenait plus de six millions de Dollars d'avance au titre d'un prêt pour le " développement " , ainsi que plusieurs autres conditions très favorables . C'est en grande partie avec cet argent qu'Al Bell finança le rachat des parts de Jim Stewart en Octobre 1972 . Jim Stewart reçut un acompte confortable et la promesse d'un paiement à long terme par mensualités . La transaction n'avait pas été annoncée officiellement à l'époque , et , même chez Stax Records , peu de personnes étaient au courant du changement de propriétaire . Jim Stewart demeura président car il avait promis à Al Bell d'assurer la continuité de la compagnie pour les cinq années suivantes . " Je n'étais cependant président que de nom , dit-il . Al Bell était le président en charge , et le seul administrateur " . Cela ne changea pas grand chose . La " famille " Stax Records était à présent dispersée aux quatre vents : Booker T. Jones parti en Californie , Booker T. & The MG's n'était plus qu'un souvenir , Al Jackson travaillait de plus en plus pour Willie Mitchell chez Hi Records , et Stax Records enregistrait la majeure partie du " son de Memphis " à Muscle Shoals . Steve Cropper avait quitté la compagnie à la fin de l'année 1970 , en ayant prolongé son contrat d'auteur de deux ans , et obtenu un forfait de 100.000 Dollars de royalties , afin , dit-il , de se sortir d'une position qui ne semblait plus , à ses yeux , lui offrir d'avenir . Donald " Duck " Dunn se laissa gagner par une lassitude qu'il prétend avoir plutôt bien accueillie après tout le vacarme de la dernière décade . " Tout s'est poursuivi normalement pendant quatre ans " , déclare-t-il en exagérant seulement dans son estimation temporelle , " et je ne savais même pas que la compagnie avait été vendue à Al Bell ! C'est dire à quel point ils nous maintenaient dans l'ignorance . Jim Stewart est resté , paraît-il pour ne pas causer de grand bouleversement , mais bon Dieu , je n'étais au courant de rien sur rien . Ils étaient là , à me verser un salaire de 55.000 Dollars par an , et je n'allais même plus au studio . Tout se passait à Muscle Shoals " . Quitter Stax Records ne lui est cependant jamais venu à l'esprit , en dépit des départs de Steve Cropper et Booker T. Jones . " Ils m'avaient donné un bureau . J'avais toujours eu envie d'avoir des lampes noires , de l'herbe et Ravi Shankar en musique de fond dans mon bureau ( je ne sais pas pourquoi , je n'étais même pas vraiment fan de tout ça ) , mais je n'y allais jamais . Finalement ils m'ont demandé s'ils pouvaient transformer mon bureau en petit entrepôt . Et je m'en foutais . Al Bell et moi avons signé un nouveau contrat pour les MG's , on nous a donné 100.000 Dollars , dont 55.000 d'avance , pour faire un album . Je n'allais pas la ramener ! J'avais travaillé toute ma vie pour arriver à ça . Au fond de moi , ça me faisait rire , je m'en foutais . " Tu as gagné cet argent parce qu'ils se sentaient coupables " , ajoute sa femme June . " De l'argent gagné ne fait de mal à personne " , corrige Donald " Duck " Dunn . L'aspect le plus gênant de la nouvelle organisation était dependant l'offence qu'elle représentait envers l'esprit des anciens . Après tout , il s'agissait bien de Stax Records , témoignage vivant du mérite de la politique de la porte ouverte , et pourtant , depuis l'arrivée de Johnny Baylor et l'instauration d'un système de sécurité complexe , tout le bâtiment grouillait d'armes et de réglementations . " Tout d'un coup , raconte Donald " Duck " Dunn , il fallait dire Monsieur Stewart , Monsieur Bell . Ils avaient deux gardes qui portaient des revolvers sous leurs vestes . Ils avaient une petite carte d'accès , il fallait que tout le monde se balade avec cette carte . Finalement , je leur ai dit : ' Bon Dieu , si vous ne me laissez pas entrer , je retourne chez moi ' " . " C'est devenu bizarre , raconte le trompettiste Wayne Jackson , et moi , j'étais là depuis le tout premier jour . Tu vois , moi , Steve Cropper et Donald " Duck " Dunn , on est blancs , et tout d'un coup les gens remarquaient qu'on était des blancs . Ils ne s'étaient pas rendu compte plus tôt que nous n'étions pas noirs ! Andrew Love [ le cofondateur noir des Memphis Horns ] et moi avons décidé que nous ne voulions pas prendre de coups , et nous avons donc quitté l'équipe pour travailler en free-lance ; c'était il y a bien longtemps , au moment où Johnny Baylor et Boom Boom ( Dieu seul sait qui était vraiment ce mec ) sont arrivés . Des personnages très inquiétants . Booker T. Jones avait peur , lui aussi . Tout le monde avait peur . Ces gars-là intimidaient tout le monde . Tu avais peur de circuler là-dedans . On ne savait pas ce qui allait se passer . Tu comprends , ils avaient des armes , mon pote . Je te le dis , mon gars , la situation devenait de plus en plus chaude " . William Bell apprécia si peu la nouvelle atmosphère de Stax Records qu'il déménagea à Atlanta et s'embarqua dans un certain nombre d'aventures indépendantes , permi lesquelles la création de son propre petit label , Peachtree Records . " D'une petite entreprise familiale , ils avaient évolué en une corporation pesant plusieurs millions de Dollars , dans laquelle chacun n'était qu'un numéro , et dont les décideurs ignoraient la réalité des artistes . Tu sais , tu pouvais entrer et entendre quelqu'un dire : ' Avez-vous rencontré William Bell ? - Oh Oui , bien sur , Stax numéro ST 124 ! ' . Qu'est-ce que tu veux répondre à un type comme ça ? Quand on en arrive là , il n'y a plus grand-chose à faire . C'est comme une boule de neige qui dévalerait une pente " . Malgré ces avertissements internes , jamais les ventes de disques Stax Records ne s'affaissèrent , et la capacité de la compagnie de générer un cash-flow toujours plus important ne se démentit pas . Au moment du rachat par Deutsche Grammophon , Stax Records talonnait sérieusement Motown Records dans la course à la suprématie en termes de vente d'albums de musique noire . Pendant cette période , Johnnie Taylor , les Soul Children , les Staples Singers , Isaac Hayes , et même Rufus Thomas enchaînèrent les succès , tandis que Frederick Knight , Jean Knight , Rance Allen , Mel & Tim et les Emotions n'étaient que quelques-uns des nouveaux artistes à émerger à cette époque . Dans le même temps , Stax Records se développait dans de nouvelles directions encore plus ambitieuses . Ses labels filiales , Enterprise Records , Hip Records , Respect Records , Partee Records et Gospel Truth Records annoncèrent tous de nouvelles signatures importantes , parmi lesquelles celles du jeune comédien Richard Pryor , dont le premier album solo pour Stax Records ( sur le label Partee Records ) , " That Nigger's Crazy " , allait provoquer une véritable onde de choc dans les ventes de disques .
Au printemps 1972 , Al Bell prit contact avec l'un de ses collègues , âgé de vingt-neuf ans , le pasteur Jesse Jackson ( " I Am Somebody " , de Jesse Jackson , faisait partie d'une série d'albums réunis sous le titre général " The Country Preacher "qui avait marqué la naissance du label Respect Records ) , en vue d'organiser ce qui allait devenir Wattstax , la spectaculaire apogée du Watts Summer Festival d'Aout 1972 ( le Woodstock des Noirs ) .
C'était peut-être l'entreprise extérieure la plus ambitieuse de Stax Records : pratiquement tous les artistes sous contrat s'étaient engagés à ne ménager ni leur temps , ni leur sueur pour un festival musical qui affichait sa différence sociale , destiné qu'il était à commémorer le septième anniversaire des émeutes de Watts . Grâce à une contribution financière de Schlitz , le prix des tickets fut limité à 1 Dollar , et le gigantesque Los Angeles Coliseum afficha complet pour une série de concerts auxquels participèrent toutes les stars de Stax Records , et dont le ton spirituel fut donné par le Révérend Jesse Jackson . Furent finalement tirés de ce festival deux double-albums et un courageux long-métrage de cinéma alternant scènes de la vie dans le ghetto et extraits des concerts . Les organisateurs du festival firent en outre don de près de 100.000 Dollars à des oeuvres de charité aussi variées que la Fondation contre la Drépanocytose , le Martin Luther King Jr. General Hospital de Watts , et l'opération PUSH ( People United to Save Humanity ) de Jesse Jackson à Chicago . Mais pour Donald " Duck " Dunn et quelques autres à Memphis , c'était un affront manifeste : " De quelle cause s'agissait-il ? Celle de Wattstax ou celle d'Al Bell ? Est-ce qu'ils faisaient tout ça pour les gens de Los Angeles , ou pour promouvoir Al Bell à Los Angeles ? Et qu'avaient-ils jamais fait pour Memphis ? Strictement rien " .
Wattstax
Pendant ce temps , on passait des accords de production de films , on investissait dans une pièce à Broadway , on parlait d'entrer en participation dans une franchise de basket-ball : les projets d'ampleur comparable , et tout aussi irréalisables, se multipliaient , mettant chacun en valeur le désir d'expansion de Stax Records et sa soif de nouveaux horizons , mais aucun ne se révélait aussi payant que prévu . Il n'était peut-être pas surprenant de voir que l'accord passé avec CBS Records ( Columbia Records ) , qui s'était révélé d'une utilité considérable dans la fabrication et la promotion du film sur Wattstax , et qui était encore plus important par la garantie qu'il apportait d'un cash-flow constant , devenait maintenant une source de tensions . Selon ses termes , Stax Records devait être payé pour chaque disque livré , indépendamment des ventes ; autrement dit , plus Stax Records produisait de disques , plus la compagnie gagnait d'argent ( ce type d'arrangement était proche du jamais-vu dans le business du disque et dans le business tout court , d'ailleurs ) . Il est difficile de dire quel était l'intérêt de CBS Records dans ce genre de contrat ; Jim Stewart affirme qu'il s'agissait d'un accord informel passé avec Clive Davis , et dont l'esprit sous-jacent ne s'était pas bien traduit sur papier . En tout cas , tout fonctionna parfaitement bien , à tout point de vue , jusqu'à ce que Clive Davis soit renvoyé de CBS Records à la fin du printemps 1973 , pour des " délits financiers mineurs " ( avoir utilisé les fonds de la compagnie pour payer la bar-mitzvah de son fils et redécorer un appartement ) . Il est probable que c'est à ce moment-là que CBS Records s'est mis à regarder d'un oeil nouveau l'accord passé avec Stax Records ( qui garantissait 2 Dollars pour chaque album livré ) et , comme le déclare William Matthews , président de l'Union Planters National Bank et partie prenante de l'affaire depuis que sa banque soutenait Stax Records par de larges prêts , dans le Memphis Commercial Appeal , " à retenir 40% des paiements [ en d'autres termes , Stax Records obtenait à présent 1,20 Dollars par disque , au lieu de 2 Dollars ] . Chez Stax Records , si la compagnie avait été convenablement gérée , ils auraient dû réaliser qu'ils ne pouvaient plus continuer à se développer avec cette réduction de capital , et diminuer leur production . Mais la réaction d'Al Bell fut de dire : ' Au diable CBS Records ! C'est ma compagnie . Je fais ce que je veux ' " . Jim Stewart , lui aussi , perçut la réaction de CBS Records comme une trahison de l'esprit du contrat , mais il ne se sentait pas plus optimiste que William Matthews quant aux méthodes commerciales d'Al Bell : celui-ci avait à présent endetté Stax Records à hauteur de " huit , dix millions de Dollars , Dieu seul sait combien exactement " . Cependant , pensait-il , il était encore en sécurité . Il se trompait . C'est à peu près à ce moment que la tempête se déclara . Au début de l'année 1973 , dans ce qui restera l'un des événements les plus inattendus d'une histoire déjà imprévisible , Johnny Baylor fut interpellé à l'aéroport . D'après certains reportages , cela se serait passé à l'aéroport de Birmingham , mais il s'avère en fait qu'il a été arrêté à Memphis avec sur lui une somme estimée selon les sources entre 140.000 et 500.000 Dollars en liquide dans sa serviette . Cette somme suscita évidemment des interrogations , et l'argent demeura longtemps saisi par les autorités , mais Jim Stewart jure que personne n'avait rien à se reprocher , ni à cacher , dans cette affaire , et que Johnny Baylor emportait cet argent à Montgomery , où résidait sa mère . " C'était l'argent de Johnny Baylor . Vous voyez , Johnny Baylor avait fait son apprentissage dans la rue , et il n'arrivait pas à penser en termes de chèque . Il venait de connaître un gros succès avec un de ses disques , et il avait touché un gros pourcentage de droits d'auteur , mais au lieu de prendre son chèque et de le mettre tout simplement dans sa valise , il est allé l'encaisser . Il n'y avait que Johnny Baylor pour faire un truc pareil . A Memphis , il a traversé les barrages de sécurité avec ( c'était au moment de toutes ces histoires de pirates de la route ) , et ils lui ont dit : ' Ouvrez ça ' . Alors Johnny Baylor a ouvert son attaché-case , sans penser à mal , et il y avait quelques 150.000 bizarres Dollars dedans . Johnny Baylor l'a refermé ( c'était son argent , où était le mal ? ) , mais vous n'imaginez même pas ce que ça a déclenché . Les gens se sont mis à dire : ' Oh , c'est de l'argent de la drogue ! Oh , ce doit être une sorte de rançon ' . Conneries ! J'ai su plus tard que cet argent lui appartenait bel et bien " . Ce n'est peut-être pas une simple coïncidence si le Billboard du 21 Juillet 1973 annonçait que " l'Internal Revenue Service ( IRS ) mène une enquête sur des opérations impliquant le label Stax Records , basé à Memphis . Les investigations préalables de l'IRS , apparemment en cours depuis un an , ont révélé une anomalie de 1,8 millions de Dollars dans les comptes de Johnny Baylor , un des cadres de Stax Records , identifié comme auteur et producteur pour le label Koko Records , filiale et propriété de Stax Records " . C'était le début de la fin . Un audit bancaire demandé par l'IRS révéla que Stax Records versait 250.000 Dollars par an à Johnny Baylor pour lui permettre de conserver un appartement à New York . Il fut rendu public que certaines secrétaires de Stax Records touchaient des " salaires invraisemblables " , ou tout du moins que leurs salaires apparaissaient comme tels dans des livres de comptes . L'animateur de talk-show Mike Douglas , Billy Eckstine ( " Senior Soul " ) , et l'enfant-star britannique Lena Zavaroni avaient tous été signés sur le label pour des sommes énormes . Comme le dit William Bell : " Ils achetaient des maisons , ils circulaient avec de l'argent dans leurs serviettes , ils donnaient de 100.000 à 150.000 Dollars à des nouveaux artistes dont les disques ne se vendaient pas , et dans le même temps , je n'avais pas même 25.000 Dollars d'avance , et je me retrouvais à devoir lutter pour payer ma nouvelle maison ! " Il devenait de plus en plus difficile de ne pas conclure qu'au milieu de tant de largesses , une partie de l'argent devait passer entre les mailles du filet , qu'avec tant de liquidités en circulation , quelques billets finissaient en dessous-de-table , dans des poches non identifiées . L'idée était également venue à l'esprit d'un certain nombre de magistrats . Le premier Septembre 1973 , Billboard rapporta que des poursuites avaient été lancées contre deux des vice-présidents de Stax Records pour une affaire où 400.000 Dollars étaient en jeu et qui concernait " l'envoi aux distributeurs de l'équivalent de 380.000 Dollars de disques et de cassettes gratuits afin d'obtenir des retours sur dessous-de-table " , ainsi que 26.000 Dollars de photographies surfacturées selon le même type de transaction . En Mars 1974 , Stax Records annonçait qu'elle lançait un nouveau label , Truth Records et réactivait Respect Records et Partee Records . La maison de disques précisait à l'intention des marchés que ces labels " n'entraient pas dans le cadre de l'accord passé avec Columbia Records ( CBS ) " et seraient gérés pa Music Merchandisers Records . Cela signifiait qu'Al Bell s'était rendu compte qu'il avait tiré tout ce qu'il pouvait tirer de son partenariat avec Columbia Records et qu'il cherchait désespérément une nouvelle façon de de générer du cash-flow . Bien évidemment , rien ne fonctionna comme prévu , car , en Septembre , Isaac Hayes poursuivit Stax Records en justice , après que son chèque trimestriel de 270.000 Dollars ( une partie des 1,89 millions de Dollars qui lui avaient été garantis indépendamment de toutes royalties portant sur ses disques ) eut été refusé par l'Union Planters Bank pour absence de provision . L'action en justice , rapportait Billboard , " visait tout particulièrement le vice-président éxécutif de Stax Records , Al Bell , qui , prétendait Isaac Hayes , lui avait , pour signer le contrat , promis ' l'équité et un sentiment de fraternité dans l'entreprise ' " . Un mois plus tard , un grand jury fédéral ordonnait à Stax Records de lui communiquer les livres de comptes concernant les transactions financières effectuées en 1973 , et CBS Records tenta de faire appel aux autorités fédérales pour empêcher Stax Records de briser leur accord de distribution . En Janvier 1975 , Stax Records se révéla incapable d'assurer le versement des salaires de ses 210 employés . L'Union Planters Bank , à présent partenaire à part entière dans la gestion de la société , fit tout ce qui était en son pouvoir pour sauver la situation . " Je me suis rendu chez CBS Records , à New York , pour comprendre ce qui se passait vraiment " , déclara le président de l'Union Planters Bank , William Matthews , au Memphis Commercial Appeal . " J'ai appelé Al Bell pour comprendre ce qui pouvait bien se passer . Al Bell m'a répondu qu'il ne pouvait rien me dire parce qu'il faisait l'objet d'une enquête de l'IRS . Alors nous avons envoyé une équipe pour un audit . Nous avons essayé de reconstituer les livres de comptes , mais ils n'avaient pas de livres de comptes au sens habituel du terme . Il est apparu qu'ils pouvaient générer de 13 à 14 millions de Dollars de revenus par an . Le problème venait de leurs dépenses . Il était difficile de dire ce qu'ils faisaient de leur argent " . Ce que disait William Matthews , fondamentalement , c'était que Stax Records avait pâti de grâves erreurs de gestion . Jim Stewart n'arrivait pas à se faire à l'idée que tout était fini . Ses espoirs d'un règlement par " accord de vente à long terme " commençaient à s'estomper, et il avait perdu en grande partie sa foi en Al Bell . Mais il ne pouvait se résoudre à regarder le bateau sombrer sans rien faire . " J'ai réinvesti tout mon argent [ selon les estimations , de quatre à huit millions de Dollars ] dans la compagnie , parce que je pensais que ça valait le coup . C'est ça qui m'a détruit personnellement : je ne me suis jamais remis de ces pertes . J'avais beaucoup d'argent , j'étais en bonne santé , mais j'ai tout perdu , c'est tout " . Al Bell fut inculpé le 8 Septembre 1975 , en compagnie d'un ancien responsable de l'Union Planters National Bank , Joseph Harwell , pour avoir " conspiré en vue d'obtenir plus de dix-huit millions de Dollars en prêts bancaires frauduleux " , comme le rapporte le Memphis Press-Scimitar . " L'énoncé de l'inculpation , comprenant quatorze chefs d'accusation , estime que l'accord passé entre les deux accusés entre 1969 et 1974 , en vertu duquel Joseph Harwell avait prêté de l'argent à Stax Records et à ses filiales , reposait sur des garanties frauduleuses données par Al Bell et fondées sur des prêts individuels s'élevant à 230.000 Dollars . D'après les charges retenues , Joseph Harwell aurait reçu jusqu'à 700.000 Dollars de dessous-de-table et de frais de courtage , et aurait bénéficié du remboursement de ses frais de déplacement lors d'un de ses voyages à Los Angeles en 1973 pour la ' grande première ' d'un film produit par Stax Films , Inc ( Wattstax ) " .
Carla Thomas At Wattstax
Quelques Stax Records " 12 : 14'35
Joseph Harwell , qui au moment de l'inculpation était déjà détenu pour détournement de fonds à la prison fédérale de Springfield , Illinois , fut finalement reconnu coupable de deux chefs d'accusation , mais Al Bell fut acquitté en Aout 1976 , et Jim Stewart défend opiniâtrement , encore aujourd'ui , celui qui fut un temps son partenaire . " Je savais qu'il était innocent , c'était ça qui faisait mal . C'était une victime , la victime de ses propres stupidités . C'était notre destin qui voulait que le responsable de nos prêts se révéle être un escroc . Après ça , ils ont accusé Al Bell ( ces histoires de ' conspiration ' et toute cette m...e ) , et ça l'a détruit . Et en même temps , ça a contribué à détruire la compagnie . Le plus gros problème que j'avais avec Al Bell , c'était qu'il s'impliquait trop en politique , et pas assez dans l'industrie du disque . C'était quelqu'un de très créatif , de très talentueux , mais malheureusement c'était une victime ( et jusqu'à un certain point , sa propre victime ) " . Le premier Octobre 1975 , Al Jackson , que son épouse Barbara avait blessé par balle à la poitrine à peine deux mois plus tôt au cours d'une dispute domestique , était abattu à son domicile lors de ce qui fut officiellement une tentative de cambriolage . Beaucoup de rumeurs circulèrent à l'époque , insinuant que ce n'était pas là le fin mot de l'histoire , et certains tentèrent même de relier sa mort avec son témoignage prévu lors des auditions pour la banqueroute de Stax Records . Ironie du sort , les MG's s'étaient réunis deux semaines plus tôt , pour la première fois en quatre ans et demi , afin de débattre d'une éventuelle reformation et de la réalisation de nouveaux disques sur un autre label . Stax Records fut déclaré en faillite et fermé par ordre d'un tribunal fédéral le 12 Janvier 1976 . Le lendemain , rapporte le Memphis Commercial Appeal , Jim Stewart " se rendit au travail en voiture comme à son habitude . D'après les policiers postés aux portes du bâtiment , il resta assis dans sa voiture garée sur le parking derrière le vieux Capitol Theater . Il redémarra trente minutes plus tard " . " J'ai su que tout était fini , conclut Donald " Duck " Dunn , quand ils ont signé Lena Zavaroni et Billy Eckstine . C'était n'importe quoi ! Complètement stupide ! Je ne dis pas qu'ils n'avaient aucun talent , mais c'était devenu le Grand Club des Disques Columbia Records . Ce n'était plus Stax Records " . Isaac Hayes témoigna à charge le 23 Décembre 1976 . Il énuméra à la barre une liste de dettes s'élevant à près de six à neuf millions de Dollars , et déclara " survivre dans l'indigence " , c'est-à-dire selon lui " avoir à peine assez d'argent pour payer son logis , sa nourriture et ses moyens de transport ( dont parfois une limousine climatisée pour emmener ses enfants à l'école ) " . Il y aurait sans doute encore beaucoup à dire , mais c'était la fin de Stax Records . Tout le monde hésite à pousser l'analyse plus en avant et chacun s'accorde pour reconnaître qu'il vaudrait mieux de toute façon ne pas s'y aventurer . Al Bell rentra à Little Rock après son procés , travailla avec un petit label ( ICA Records ) basé à Washington , puis effectua plusieur travaux de production en free-lance pour diverses majors , parmi lesquels un certain nombre d'albums de Bobby " Blue " Bland . Johnny Baylor est mort au printemps 1985 ; il avait jusque-là maintenu l'activité de Koko Records en sortant irrégulièrement plusieurs disques sous ce label , et notamment un nouveau LP de Luther Ingram tous les deux ans . Booker T. Jones connut un certain succès en produisant ses propres disques ainsi que ceux d'autres artistes , comme le " Stardust " de Willie Nelson , disque de platine . Steve Cropper et Donald " Duck " Dunn se firent connaître d'une nouvelle génération , toujours en tant que section rythmique , cette fois dans l'orchestre des Blues Brothers . Isaac Hayes est devenu une star de cinéma , et le porte-parole de la Continental African Chamber of Congress , une corporation pan-africaine dont le but est de développer l'économie de ce continent tout en continuant sa carrière de chanteur . De nombreux artistes Stax Records travaillent toujours en périphérie du business ( les périodes de revivals passagers et certains de leurs titres qui approchent le statut de hit rappellent au public qu'ils sont toujours dans le coin . Dans les rues de Memphis , on regarde Jim Stewart , un homme qui a vu se réaliser ses pires cauchemars , comme on regarderait un fantôme . Lorsqu'il fut interviewé pour la première fois , en 1981 , il vivait encore dans sa propriété de six hectares ( court de tennis , écurie , trois piscines ) , le tout dans un quartier huppé de l'Est de Memphis . Un peu plus tard la même année , ce domaine , ainsi que vingt-deux autres hectares de propriété , fut vendu aux enchères par la Delta Auction Company . Jim Stewart regarda ce nouveau coup dur avec la même absence d'émotion apparente que lorsqu'il avait vu disparaître tout le reste . Le Memphis Press-Scimitar rapporta qu'il " restait dans sa cuisine , avec vue sur la piscine , à siroter du café , en regardant les acheteurs potentiels se préparer pour la vente aux enchères . Lorsqu'on lui demanda la raison de ces enchèrent , il répondit : ' C'est juste une vente immobilière . Je ne suis pas le premier à vendre mon bien . Je suis un citoyen comme les autres , et je n'ai pas de commentaires à faire " . Il semblait toujours aussi abasourdit par ce qui était arrivé à Stax Records , comme si tout cela concernait quelqu'un d'autre , mais , en 1983 , il intriguait encore pour réintégrer l'industrie du disque en produisant un hit de modeste envergure pour l'ancienne artiste Stax Records Margie Joseph , et en s'occupant des signatures d'artistes pour l'éphémère label Houston Connection Records , avec lequel il s'associa momentanément . Seule Estelle Axton parvint à surnager après le naufrage . En 1976 , avec l'aide de Bobby Manuel et de Rick Dees , elle enregistra une chanson originale intitulée " Disco Duck " pour Rick Dees dans son minuscule studio Fretone Records ( distribué par RSO Records , Inc à l'échelle nationale ) , situé dans un quartier délabré qui n'était pas sans rappeler East McLemore , à deux pas du Panther's Disco Booster Club .
" J'avais marqué le pas pendant cinq ans . J'avais pensé tout d'abord , en 1973 , que travailler avec Packy ( son fils ) dans le business du disque pourrait d'une façon ou d'une autre panser ses blessures . Je pense aussi que je voulais me prouver à moi-même que je m'y connaissais un peu plus en musique que ce qu'on avait toujours laissé entendre . C'est cela , je crois , qui est à l'origine de tout . Et quand mon fils est mort en Janvier 1974 , j'ai pensé tout abandonner , parce que je dépendais de lui , vous voyez , surtout en matière de production . Mais ensuite je me suis demandé ce que j'allais bien pouvoir faire , vous comprenez ? Il fallait bien que je vive ma vie . Je m'intéressais toujours au business de la musique , et passer du temps avec des jeunes vous permet de rester jeune dans votre tête , indépendamment de votre apparence physique . Alors j'ai continué à travailler , et je ne l'ai pas regretté quand j'ai sorti le ' Disco Duck ' et que c'est devenu l'un des plus gros hit jamais enregistré à Memphis [ le disque s'est vendu à plus de trois millions d'exemplaires ] . Vous voyez , on n'a jamais vraiment raconté tout ça . Je ne sais pas si c'est parce que je suis une femme et que je me retrouvais à combattre l'ego des mâles , ou quelque chose comme ça . Je n'ai jamais bénéficié de la couverture médiatique que je pensais mériter , mais j'ai laissé faire sans intervenir . Je me disais : ' Au diable tout ça ! J'ai gagné de l'argent . Que demander de plus ? ' Et je m'étais prouvé à moi-même qu'il y avait quelque chose que je savais faire ; eh oui , j'avais réussi ! J'ai toujours été quelqu'un de très fier ( et c'est peut-être étrange venant d'une personne de mon âge ) je ne regarde jamais en arrière , à l'exception des erreurs que j'ai pu faire et que je ne reproduis jamais . Je vis pour le futur , une fois pour toutes . Je suis intimement persuadée que la vie commence à quarante ans . C'est à cet âge que je me suis lancée dans le business du disque . J'avais quarante ans , et vous savez que maintenant je suis une vieille femme . Je dois dire que ma vie est devenue très , très intéressante à partir de mes quarantes ans . Jusque-là , vous savez , j'avais été une adolescente frustrée , j'étais allée à la fac en me demandant ce que j'allais faire plus tard , j'avais laissé faire les choses , trouvé un travail , un mari , élevé mes enfants , je faisais avec tout ça . J'ai une fille et trois petits-enfants , et donc une vie bien remplie , mais qui n'est devenue excitante qu'après mes quarante ans . Vous savez , toutes sortes de choses arrivent dans ce business , et je pense que c'est pour cela qu'il me fascine . Chaque jour est un jour nouveau . J'aime ça . J'aurais aimé avoir tenu un journal de ce temps-là . Il y a tellement de choses amusantes qui se sont passées . Il y a tellement de gamins que j'ai suivis depuis les premiers jours de Stax Records . Il y avait une telle concentration de talents là-dedans ( il suffisait de savoir comment les utiliser ) . J'imagine que tous ces gamins m'admirent , et admirent Jim Stewart , pour ce que nous avons fait pour eux à cette époque . Je ne pense pas que vous puissiez en trouver un seul pour vous dire que nous n'avons pas fait le maximum " . Elle à effectivement raison . En 1977 Fantasy Records obtient les masters de Stax Records aux enchères pour seulement 1,3 millions de Dollars .
Le studio Stax Records à l'état d'abandon juste avant d'être détruit
Le studio Stax Records fut démoli en 1989 . Le Stax Museum of American Soul Music , Music Academy , and Performing Arts Center ouvre ses portes à Memphis en Avril 2001 et Jim Stewart y sera intronisé en 2002 . Aujourd'hui le Stax Museum of American Soul Music , situé sur le site d'origine de Stax Records , rend hommage à tous les artistes qui ont enregistré là-bas avec une collection rare et étonnante de plus de 2.000 expositions interactives , des films , des artefacts , des articles de souvenirs , et galeries conçues pour garder Stax Records vivant pour toujours . Parce que c'est le musée de la Soul Music dans le monde , il met en lumière également l'Amérique d'autres grands pionniers de la Soul Music , y compris les sons de Muscle Shoals , Motown Records , Hi Records et Atlantic Records , mettant en lumière les contributions des pionniers de la Soul Music tels que Ike & Tina Turner , Aretha Franklin , The Jackson Five , Ann Peebles , Al Green , Sam Cooke , James Brown , Ray Charles et bien d'autres .
Le stdio Stax Records reconstruit à l'identique sur le même emplacement que l'ancien Capitol pour le Stax Museum of American Soul Music
Estelle Axton décéde le 24 Février 2004 à l'âge de 85 ans . Cette même année , Fantasy Records est racheté par Concord Records actuellement connue sous le nom de Concord Music Group et qui détient bien évidemment le catalogue Stax Records . Isaac Hayes décéde le 10 Aout 2008 des suites d'un arrêt cardiaque à l'âge de 68 ans . Donald " Duck " Dunn meurt à Tokyo le 13 Mai 2012 dans son sommeil un Dimanche Matin , après avoir bouclé deux spectacles au Blue Note Night Club .
Mes sources
Mon peu de Stax Fax Revue
Soul Music de Jean-Louis Lamaison Edition Albin Michel Rock & Folk 08 Mai 1977
Sweet Soul Music de Peter Guralnick Editions Allia Septembre 2003
Liste des chansons sur cet article
Curseur Musical # 1 : 1959-1962
1 The Veltones : Fool In Love
2 Rufus & Carla ( Thomas ) : 'Cause I Love You
3 The Chips : You Make Me Feel So Good
4 Prince Conley : I'm Going Home
5 Barbara Stephens : The Life I Live
6 Carla Thomas : I Kinda Think He Does
7 The Cakes : Why Should I Suffer With The Blues
8 The Del Rios : Just Across The Street
Curseur musical # 2 : 1963-1966
1 Rufus Thomas : The Dog
2 Eddie Kirk : The Hawg Part 1
3 The Vandells : The Honeydrypper
4 The Admirals : Got You On My Mind
5 The Four Shells : Hot Dog
Curseur musical # 3 : 1967
1 The Bar-Kays : Soul Finger
2 Johnnie Taylor : Sixteen Tons
3 Eddie Floyd : Things Get Better
4 William Bell : Eloïse [ Hang On In There ]
5 Sir Mack Rice : Love Sickness
6 Ruby Johnson : Keep On Keeping On
7 Otis Redding : Respect
8 The Bar-Kays : I Want Someone
9 Johnnie Taylor : Little Bluebird
10 Otis Redding & Carla Thomas : New Year's Resolution
11 Otis Redding : The Glory Of Love
Curseur musical # 4 : 1967-1971
1 Sir Mack Rice : Mini-Skirt Minnie
2 Sam & Dave : I Thank You
3 Johnnie Taylor : Testify [ I Wanna ]
4 John Ka Sandra : [ What's Under ] The Natural Do
5 The Dramatics : Get Up And Get Down
Curseur musical # 5 : 1972-1975
1 Annette May Thomas : Nothing Is Everlasting
2 Roy Lee Johnson & The Villager : The Dryer Part 1
3 Stefan : I've Got To Love Somebody's Baby
4 Sandra Wright : Wounded Woman
5 The Bar-Kays : Holy Ghost Part 1
Curseur musical # 6 : 1962-1968
1 Otis Redding : These Arms Of Mine
2 Ollie & The Nightingales : Mellow Way You Treat Your Man
3 Judy Clay : Bed Of Roses
4 Eddie Floyd : Hobo
5 Jeanne & The Darling : It's Unbelievable [ How Do You Control My Soul ]
6 Jimmy Hughes : Sweet Things You Do
7 Booker T. & The MG's : Soul Clap' 69
8 Johnny Daye : Stay Baby Stay
9 The Staple Singers : Slow Train
10 Barbara & The Brown : Big Party
Curseur musical # 7 : 1970-1971
1 Chuck Brooks : Love's Gonna Tear Your Playhouse Down Part 1
2 Margie Joseph : Your Sweet Lovin'
3 Johnnie Taylor : Steal Away
4 Branding Iron : Right , Tight And Out Of Sight
5 T.S.U. Toronados : Play The Music Toronadoes
6 Chris & Shack : Goodies
7 Ernie Hines : Help Me Put Out The Flame [ In My Heart ]
8 The Soul Children : Hold On ! I'm Comin'
9 L.V. Johnson : Don't Cha Mess With My Honey , My Honey Or My Woman
Curseur musical # 8 : 1971-1972
1 Eddie "G" Giles : Losing Boy
2 Major Lance : Girl , Come On Home
3 Joni Wilson : [ Let Hurt Put You In The ] Loser's Seat
4 Calvin Scott : A Sadness For Things
5 Johnnie Taylor : Standing In For Jody
6 Frederick Knight : I've Been Lonely For So Long
7 The Soul Children : Hearsay
8 Jean Knight : Carry On
9 Lee Sain : She's My Old Lady Too
Curseur musical # 9 : 1972
1 The Dramatics : In The Rain [ Edited Version ]
2 Hot Sauce : Bring It Home
3 The Temprees : Explain It To Her Mama
4 The Emotions : My Honey And Me
5 Isaac Hayes : Let's Stay Together
6 The Staple Singers : I'll Take You There
7 Isaac Hayes & David Porter : Ain't That Loving You [ For More Reasons Than One ]
8 Stefan : Keep On Loving Me
9 The Soul Children : Don't Take My Kindness For Weakness
Curseur musical # 10 : 1973
1 Mel & Tim : I May Not Be What You Want
2 Johnnie Taylor : I Believe In You [ You Believe In Me ]
3 Veda Brown : Short Stopping
4 The Staple Singers : Be What You Are
5 The Sweet Inspirations : Slipped And Tripped
6 Rufus Thomas : The Funky Bird
7 Eddie Floyd : I Wanna Do Things For You
8 Little Milton : Tin Pan Alley
Curseur musical # 11 : 1974
1 Cix Bits : Season's Greetings
2 Little Sonny : My Woman Is Good To Me
3 Inez Foxx : Circuit's Overloaded
4 Roebuck "Pops" Staples : Whicha Way Did It Go
5 Black Nasty : Talking To The People
6 Johnnie Taylor : I've Been Born Again
7 Albert King : Flat Tire
8 Randy Brown : Did You Hear Yourself Part 1
Curseur musical # 12 : 1975
1 Rufus Thomas : Do The Double Bump
2 Little Milton : If You Talk In Your Sleep
3 Eddie Floyd : Talk To The Man
4 Freddie Waters : Groovin' On My Baby's Love
5 R.B. Hudmon : How Can I Be A Witness